Accrochage diplomatique entre Paris et Damas
Alors qu’un nouveau cycle de pourparlers sur la Syrie s’est achevé jeudi 14 décembre à Genève sans succès, Paris et Damas se sont interpellés avec véhémence à plusieurs reprises ces derniers jours.
Tout a commencé le dimanche 17 septembre lors d’une interview diffusée sur France 2 durant laquelle le président Emmanuel Macron a estimé que Bachar al-Assad devra « répondre de ses crimes ». La réponse du président syrien ne s’est pas faite attendre. En effet, le lendemain il rétorquait : « La France a été le porte-étendard du soutien au terrorisme en Syrie dès les premiers jours du conflit. Elle n’est pas en position de donner une évaluation d’une conférence de paix ».
La réponse française a été envoyée dans la foulée par le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, en déplacement à Washington : « Quand on a passé son temps à massacrer son peuple, on a généralement un peu plus de discrétion. ». Enfin, c’est le président Macron qui a surenchéri via Twitter : « Nous n’avons aucune complaisance à l’égard de Bachar el-Assad, ennemi de son propre peuple » . Bien que classique, ce type de séquence diplomatique questionne les rapports de force entre les différents acteurs, Paris et Damas notamment, mais Moscou et Téhéran également.
Assad de retour dans le jeu.
Alors que l’État islamique est en passe d’être vaincu en Syrie, deux camps sortent largement vainqueur suite à la conquête des territoires occupés par l’EI : les Kurdes au nord, soutenus par les occidentaux, et le gouvernement syrien dans le reste du pays. Cette victoire militaire de l’armée syrienne, soutenue par la Russie, l’Iran et les milices chiites libanaises et irakiennes permet à Bachar al-Assad de retrouver une forte crédibilité pour les négociations politiques à venir. De son côté, Emmanuel Macron avait décidé en début de mandat, de ré-orienter la politique française en Syrie, en appelant entre autre à négocier avec Damas, ce qui était exclu auparavant par le président Hollande. Assad ne semble d’ailleurs pas avoir oublié les tentative de Paris auprès du Conseil de sécurité de l’ONU pour intervenir militairement contre son gouvernement à l’été 2013.
D’une certaine manière, les vifs échangent survenus ces derniers jours entre Paris et Damas, renforcent encore un peu plus la position d’Assad, puisque le dictateur infréquentable à qui l’on ne parlait plus, obtient désormais des réponses directes de la part de l’Élysée. Le dirigeant syrien profite également du rapport publié par l’ONG Conflict Armament Research, affirmant que l’aide militaire apportée aux rebelles syriens s’est retrouvée dans les mains de l’État islamique, ce qui explique la réponse d’Assad au président français, évoquée plus haut.
Carte de la Syrie en décembre 2017. En rouge, les territoires contrôlés par l’armée syrienne, en jaune, par les kurdes, en vert par les rebelles et en noir par l’État islamique.
Avantage pour Moscou et Téhéran
Cet accrochage modifie également les rapports de force avec d’autres puissances engagées dans le conflit syrien. Ainsi, face à Assad qui est redevenu l’antagoniste principal de « l’Occident » dans les négociations, la Russie, mais aussi l’Iran, font à nouveau partie des « intermédiaires ». Il y a encore quelques mois, Assad était en dehors du jeu diplomatique, éjecté notamment par l’intervention militaire russe débutée en 2015. La Russie était ainsi devenue la partie adverse principale dans le jeu des négociations. Les rapports de force ont donc à nouveau changé. Cette redistribution des rôles politiques renforce clairement le camp russo-syrien, puisque la position « extrémiste» d’Assad, une fois revenu dans le jeu des négociations, rend celle de la Russie plus convenable, et pouvant servir de position intermédiaire.
Cependant, la France ne sort pas non plus « affaiblie » de cette séquence diplomatique. Elle tente au contraire de faire entendre à nouveau sa voix, puisqu’elle avait été relativement écartée du processus d’Astana, débuté en janvier 2017. Ces dernières semaines, le président Macron a affirmé à plusieurs reprises sa volonté de peser lors des négociations inter-syriennes en remettant dans le jeu l’opposition en exil, soutenue par la France depuis 2011. Les récentes déclarations du gouvernement français contre celui d’Assad vont dans ce sens.