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La Russie et ses capacités d’armement: un levier militaire en Ukraine (2/2)

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En février 2022, la Russie a lancé son « opération militaire spéciale » en Ukraine. La stratégie russe s’est appuyée sur une domination numérique, des capacités militaires et technologiques supérieures pour mener une guerre de haute intensité de quelques semaines, visant à renverser le pouvoir ukrainien. Depuis, la résistance ukrainienne et le soutien militaire occidental de plus de 70 milliards de dollars ont largement bouleversé les objectifs stratégiques russes. Néanmoins, dans l’enlisement de la guerre, la Russie semble, depuis plusieurs mois, avoir pris l’ascendant en s’appuyant sur un appareil industriel et logistique à même d’infléchir les positions ukrainiennes, notamment par ses capacités d’armement. 

Un appareil industriel tourné vers l’économie de guerre

Après deux ans de guerre la Russie a consolidé son industrie et sa logistique afin de continuer à mener sa guerre d'agression en Ukraine.
Vladimir Poutine en visite chez l’industriel Uralvagonzavod, l’un des principaux producteurs d’armements en Russie.

Au cours des deux années de guerre, la Russie a rapidement opéré un virage économique pour soutenir son agression. Financièrement, tout d’abord, la Russie a drastiquement augmenté son budget de la défense qui regroupe les coûts de la guerre, l’investissement dans l’industrie et l’achat d’armements. Ces dépenses ont progressivement augmenté jusqu’à représenter en 2024 à elles seules 7.5 % du produit intérieur brut de la Russie. Soit un tiers du budget de l’État. Dans un second temps, en augmentant la masse salariale du secteur. Elle représente aujourd’hui 2.5 millions de personnes, soit 3.5 % de la population russe. Ces facteurs combinés doivent permettent l’augmentation de la production du complexe militaro-industriel. L’exemple le plus éloquent est l’actuelle production russe d’obus qui est estimée à 3 millions par an. Les capacités des États-Unis et de l’Union européenne combinées sont, elles, estimées à 1.2 million d’obus.

Néanmoins le complexe militaro-industriel ne se suffit pas à lui-même pour appuyer l’effort de guerre russe et les pertes matérielles considérables induites par la guerre en Ukraine.

L’exploitation des stocks d’armements en Russie

Les stocks de la guerre froide représentent une source importante d’armements et de munitions vieillissantes. Cela se caractérise par  une opérabilité au combat aléatoire et des risques élevés de défaillances. Dans le cas de la recomposition des unités blindés, ses stocks ont largement à l’armée russe. En 2023, le ministère de la défense a déclaré avoir pris livraisons de 1500 chars. Les chercheurs de l’International Institute for Strategic Studies (IISS) estiment qu’entre 1180 et 1280 chars sont issus des stocks de la Guerre froide, l’industrie russe étant incapable d’afficher cette capacité de production en une année. Ils ont ainsi fait l’objet de remise en route ou de modernisation limitées. De plus, 2470 autres blindés d’assauts et de transports seraient issus du même dispositif.

Selon la même source, ces réserves considérables que comptent des dizaines de sites d’armements en Russie permettraient à minima de soutenir le même type d’effort militaire pendant 2 à 3 ans. Ce matériel ne permet pas d’assurer les mêmes fonctions que le matériel moderne. Néanmoins, dans un contexte de pertes élevées, la réactivation de ce stock militaire joue directement sur le rapport de force sur le front. L’État russe s’appuie sur ce stock d’armes et de munitions considérables pour assurer la constance de sa stratégie de guerre d’attrition face à l’armée ukrainienne.

La Russie dépendante des approvisionnements extérieurs

Pour soutenir son effort, l’appareil de guerre russe demeure dans une situation de dépendance du marché mondial. Les besoins de son industrie de défense sont multiples. On y retrouve des biens à double usage, des machines-outils, des matières premières, des composants militaires essentiels aux chars, missiles… Face à une dépendance aux composants occidentaux et à une exposition à leurs sanctions visant à enrailler son effort de guerre, la Russie a cherché des alternatives. Une situation depuis longtemps observée et crainte par les Occidentaux.

Les biens à double usage: une faille contournée de la fabrication d’armements en Russie

Dans le cas des biens à double usage, la Russie cible des équipements électroniques qui font rarement l’objet de sanctions. Ces derniers possèdent des composants à même d’équiper leurs armes et munitions (ils sont parfois de moindre qualité par rapport à leur équivalent militaire). On y retrouve une douzaine de composants issus des grands industriels de l’électronique comme AMD, Samsung, Intel ou encore Texas Instruments. Pour garantir leur expédition, la Russie repose sur des États tiers qui servent d’intermédiaires. Ils complexifient de fait l’identification du destinataire final.

De multiples États jouent ce rôle. On y retrouve le Maroc, la Turquie, les Emirats Arabes Unis, Hong-Kong ou encore la Chine. Ces méthodes ont également été utilisées pour l’exportation de machines-outils critiques pour la fabrication de missiles perfectionnés en provenance notamment de Taiwan.

Une complexification des chaines d’approvisionnements

La Russie a dû s’adapter aux ruptures de certaines chaines d’approvisionnement depuis le début de la guerre. Ces chaines se sont complexifiées et ont entrainé des difficultés d’approvisionnement notamment au début de la guerre. Toutefois, la Russie a su exploiter ces nouvelles chaines d’approvisionnements. L’importation de biens à double usage a ainsi été estimée, en 2022, à 26 milliards de dollars. Une baisse minime comparée aux 31 milliards de dollars de composants importés pour préparer les stocks de guerre.

Dans d’autres cas, le soutien matériel se fait de manière plus directe. Le 13 avril 2024, les États-Unis ont en ce sens épinglé la coopération commerciale de Pékin avec son homologue russe. Les renseignements américains pointent l’implication d’une dizaine d’entreprises chinoises dans la fourniture de machines outils pour la fabrication de munitions et de systèmes optiques destinés aux chars russes. Il est également question d’appui via la fourniture de moteurs de drones, de propulsions de missiles ou encore par la fourniture de nitrocellulose, un composant explosif.

Les importations d’armements et de munitions à destination de la Russie 

Pour répondre à ses besoins sur le front, la Russie se fournit aussi directement en armements. Il a ainsi pu recevoir des armements et des munitions en l’échange de partenariats de différentes natures de ses États alliés. La Corée du Nord a exporté près de 7000 containers qui, selon l’État sud-coréen, pourrait contenir plusieurs millions de munitions d’artillerie.

L’Iran est également un partenaire de premier plan dans cette guerre. La République islamique a permis la fourniture de l’armée russe en missiles balistiques et anti-navires.  Elle a également fourni près d’un millier de drones qui équipent largement l’armée russe. Téhéran a également impulsé l’implantation d’usines pour la production de ces derniers sur le territoire russe. Pour finir, la Chine participe également directement à envoyer des armements pour soutenir l’effort de guerre russe.  Il est aujourd’hui difficile d’estimer l’ampleur de ce dispositif. Toutefois, l’augmentation régulière de ce soutien pourrait progressivement se révéler décisif dans la tenue de la guerre face à l’Ukraine.

Conclusion

Depuis deux ans, la Russie a largement adapté sa fourniture d’armements à une guerre durable face à l’Ukraine. D’une part, elle a su consolider ses capacités industrielles et logistiques internes et s’orienter vers une économie de guerre. D’autre part, consciente de sa dépendance aux marchés extérieurs et des besoins toujours constants du front pour servir sa stratégie d’attrition, elle a su reconsolider ses chaines d’approvisionnements. Malgré des sanctions qui ont complexifié ses importations, la Russie a su profiter d’un monde divisé sur la question de la guerre en Ukraine. Cela via des États pragmatiques et opportunistes qui permettent le contournement des sanctions occidentales dans l’importation de matériels et de composants essentielles à la production d’armements russes. En deux ans, elle a également consolidé le soutien des États alliés les plus proches. Ceux-ci ont progressivement augmenté leur soutien en armements pour, notamment, combler des stocks de munitions russes en forte baisse. Malgré des sanctions qui ont temporairement affectées ses approvisionnements, la Russie a aujourd’hui développé un système alternatif avec des partenaires de plus en plus enclins à soutenir sa guerre en Ukraine.

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Julien Oblette

est diplômé d'une licence de sciences politiques et d'un master 2 en géopolitique. Il porte un intérêt aux sujets relatifs à l'armement et aux questions d'instabilités relatives aux territoires sahéliens et d'Afrique centrale.

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