Afrique du Sud : le Lady. R fournisseur d’armes de la Russie ?
Le 11 mai 2023, la représentation diplomatique américaine dénonce l’escale d’un cargo russe dans une base navale d’Afrique du Sud. Elle l’accuse notamment d’avoir permis l’exportation d’armes sud africaines à destination de l’armée russe. Ces déclarations n’ont pas manqué de provoquer une vive polémique diplomatique entre l’Afrique du Sud, les États-Unis et l’Ukraine. A quelques jours des conclusions du rapport d’enquête sur cet incident, retour sur une affaire qui soulève des interrogations sur la participation de nouveaux États au support en armes de la guerre russe en Ukraine.
L’Afrique du Sud accusée de faciliter l’exportation d’armes vers la Russie
Le 6 décembre 2022, au large de Simon’s town, en Afrique du Sud, le Lady. R, cargo russe de plus de 120m frappé par les sanctions américaines, engage son approche de la base navale de la ville (la plus grande d’Afrique du Sud) en coupant son transpondeur à 160 km des infrastructures militaires. Il y effectua un déchargement d’armes et de munitions russes. Le 8 décembre il repartira avec plusieurs conteneurs, chargement sur lequel les conjectures et accusations se portent.
Le 11 mai l’affaire ressurgit à la suite des déclarations de Reuben Brigerty, ambassadeur des États-Unis en Afrique du Sud. Il déclare :
« Le gouvernement sud-africain n’est en fait pas aligné. Parmi les choses que nous avons notées, il y a eu l’accostage du cargo russe Lady. R à Simons Town, entre le 6 et le 8 décembre 22, qui, nous en sommes convaincus, a chargé des armes et des munitions sur ce navire à Simons Town, alors qu’il retournait en Russie ».
Pour soutenir ses déclarations, R. Brigerty affirme que des éléments du renseignement américain attestent du chargement de différents matériels de guerre. Certains officiels américains avancent que le cargo a pu chargé des composants de missiles et des munitions.
Le porte-parole du gouvernement sud-africain réfute quant à lui ces accusations. Le Lady. R ne devait sa présence qu’à la livraison d’armes et de munitions issu d’un contrat conclu avant février 2022. L’État affirme de plus qu’il n’a signé ou validé aucune demande d’exportation d’armements à l’ARMSCOR. Cette structure institutionnelle sud-africaine se charge notamment de coordonner les exportations des industriels de la défense. Une enquête « indépendante » (équipe désignée par le Président Cyril Ramaphosa) est actuellement diligentée sur une période de six semaines. L’État sud-africain assure qu’elle inclura les renseignements américains à son rapport.
Quelles implications de l’État sud-africain ?
L’enquête n’a pas encore délibéré sur les accusations de la représentation des États-Unis en Afrique du Sud. Cependant, la nature de l’industrie de la défense sud-africaine sont des éléments fondamentales dans la compréhension des enjeux de cette affaire.
Tout d’abord, la probabilité que des munitions, des armes ou des systèmes d’armements aient été chargés sans que l’État n’y ait consenti semble faible. Le Lady. R a opéré sur la plus grande base navale sud-africaine, ce qui complexifie la possibilité d’une transaction opaque. La législation nationale rigoureuse concernant les exportations d’armements limite aussi cette possibilité.
Dans un second temps, la nature de l’industrie de l’armement sud-africaine matérialise les enjeux que peut représenter un tel export. A l’échelle mondiale, ces industriels de l’armement sont des acteurs de second plan dus à des capacités industrielles relativement modestes. Ils représentent de plus une part marginale du marché de l’armement mondial.
Si l’on se concentre spécifiquement sur les relations d’exports entre l’Afrique du Sud et la Russie, celles-ci sont restées superficielles. Ces dernières années elles se basent sur des systèmes d’observations et de reconnaissances en ne faisant état d’aucune fournitures, d’armes ou de munitions. Ces éléments n’écartent pas la possibilité d’un export d’armements vers la Russie. Néanmoins le peu d’antécédents commerciaux couplé à des capacités de productions en armements réduites complexifie l’intégration logistique et matérielle à l’appareil militaire russe. Ce dernier est par ailleurs plutôt à grande échelle et en grande partie standardisé. De plus, l’Afrique du Sud semble limité dans sa capacité à palier aux sanctions impactant l’appareil de production militaire russe. Les composants de hautes technologies qui font actuellement défaut à l’armée russe sont largement dépendant des industries de défense européennes implantées sur place. L’intérêt stratégique d’un export d’armements sud-africain pour l’armée russe demeure donc marginal.
De quoi l’affaire du Lady. R est-elle le nom ?
Sur le plan stratégique, l’intérêt ou la probabilité d’un soutien ont de grandes chances de demeurer nuls ou superficiels. Sur le plan géopolitique, la volonté des États-Unis de dénoncer la possibilité d’un soutien, même mineur, à l’armée russe ne semble pas anodine. Elle se produit par ailleurs dans un contexte où la Russie et l’Afrique du Sud opèrent un rapprochement sur le plan de la collaboration militaire. En parallèle, la représentation diplomatique russe se plait à entretenir le flou autour du Lady.R. L’affaire semble illustrer la volonté des États-Unis de ne pas créer un précédent dans le soutien en armements à l’armée russe, en dehors des États résolument anti-occidentaux comme l’Iran ou la Chine.
L’affaire du Lady. R offre à la Russie l’opportunité de diversifier ses sources d’approvisionnements nationales. La résilience des deux belligérants à adapter leur appareil industriel et de logistique militaire aux besoins de leurs armées étant une variable fondamentale de l’évolution de la guerre. Le Lady R a peu de chances de matérialiser un réel risque militaire et de répondre à des besoins militaires russes. Néanmoins, il est le symbole d’un risque de diversification des sources d’armements russes. En passant outre le risque de sanctions américaines, le cargo pourrait représenter le début d’une nouvelle dynamique. Elle pourrait notamment altérer les sanctions occidentales sur les composants technologiques stratégiques qui font défaut à l’industrie de défense russe.