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Le tournant économique de la diplomatie française

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Ces dernières semaines, l’actualité nationale a été marquée par le remaniement ministériel et la réorganisation de l’exécutif. Parmi ces changements, l’altercation entre Bercy et le Quai d’Orsay – à propos du Secrétariat d’État dédié au Commerce extérieur et au tourisme – a notamment tenu le haut de l’affiche. C’est finalement sous la tutelle du Ministère des Affaires Étrangères (MAE) et de Laurent Fabius qu’ont atteri Fleur Pellerin et son portefeuille. Un petit bouleversement institutionnel qui n’est que la partie immergée d’un iceberg bien changeant depuis 2012.

Depuis l’arrivée de Laurent Fabius aux commandes, le cap est en effet clairement fixé : face à la mondialisation et dans un contexte de redressement des comptes publics, la diplomatie française doit mettre son réseau au service de l’économie et des entreprises françaises, en s’émancipant d’une conception strictement politique ou géopolitique de sa mission. De ce point de vue, il n’est donc pas anodin qu’à l’occasion du récent remaniement le MAE se soit vu attribué le titre de « Ministère des Affaires étrangères et du Développement international ». De manière plus implicite, il s’agit également de justifier le maintien – qui représente un coût certain – du troisième réseau diplomatique mondial, pour une puissance qui n’occupe plus que le cinquième rang à l’échelle du globe.

Pour ce faire, de nombreux mesures ont été prises en internes. Institutionnelles d’abord. La plus importante concerne sans aucun doute la création d’un nouveau département au sein du Ministère : la « Direction des entreprises et de l’économie internationale », formée pour moitié de professionnels issus du privé, experts dans les filières françaises porteuses à l’étranger (aéronautique, agro-alimentaire, énergie, luxe…) et censés aider les diplomates à intégrer la culture des affaires. La fin de l’année 2013 avait par ailleurs déjà vu le Quai d’Orsay rogner un peu des prérogatives de Bercy en matière de commerce extérieur. En effet, la fusion d’Ubifrance (agence initialement rattachée au ministère de l’économie, chargée d’aider les PME dans leurs exportations) et de l’Afii (Agence française pour les investissements internationaux) s’était accompagnée de la création d’une co-tutelle du nouvel organisme ainsi crée, sous la double direction du MAE et du Ministère de l’économie. À travers ces mesures, le but est donc bien de créer un soutien à l’ensemble du tissu économique français, et plus seulement aux multinationales, qui, en-dehors des voyages présidentiels possèdent déjà leurs propres structures et réseaux dédiés à la tâche.

À l’échelle des régions du monde et des ambassades, le changement se fait aussi sentir. L’administration centrale esquisse une réorganisation globale des effectifs. Si, après une période de réflexion sur le sujet (ambassades régionales, « bi-ambassades » avec un autre pays européen…), relativement peu d’ambassades seront finalement fermées, un rééquilibrage du personnel est peu à peu effectué en faveur des pays émergents, potentiellement intéressants en terme de débouchés. Un certain nombre de personnalités ont été nommées pour chaque grand pays ou région du monde, en vue de faciliter les prises de contact et négociations. Louis Schweitzer (ancien PDG de Renault-Nissan) pour le Japon, Jean-Pierre Chevènement pour la Russie ou encore Jean-Pierre Raffarin pour l’Algérie… Au sein des ambassades, le soutien à l’économie occupe aussi une place croissante : des conseils économiques composés de diplomates et d’acteurs économiques locaux se réunissent régulièrement, et certaines chancelleries cumuleront leurs fonctions diplomatiques et le rôle de relais de l’agence Ubifrance-Afii.

Une mutation qui semble donc bien engagée et qui, bien qu’irritant Bercy, fait déjà l’objet de retours positifs de la part d’associations d’entreprises françaises, petites et moyennes notamment, heureux de pouvoir bénéficier à l’étranger de l’influence et de l’aura d’un ambassadeur.

Si la Syrie ou l’Ukraine rappellent que la médiation et les négociations à l’échelle stato-nationale ont encore de beaux jours devant elles, ce tournant économique de la diplomatie française, loin d’être en opposition avec le cœur de métier des diplomates, illustre bien la superposition et le mélange des genres qui, bien plus qu’une uniformisation fantasmée, semblent être la réalité de la mondialisation.

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