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Parlements et politique étrangère (1/2)

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Le premier ministre israélien à la Chambre des représentants américaine.
Le premier ministre israélien lors de son intervention à la Chambre des représentants américaine.

Dans les démocraties européennes et américaine, la coutume a voulu que les enjeux et décisions relatifs à la politique étrangère soient dans la majorité des cas l’objet d’un large consensus. Consensus « transpartisan » mais aussi inter-institutionnel, les Parlements ayant généralement des prérogatives en matière de ratification des traités quand les négociations et leur contenu sont du ressort des chefs d’Etat et ministères concernés. Pourtant, des deux côtés de l’Atlantique, ces dernières semaines ont été marquées par un activisme parlementaire notable, à l’origine de tensions plus ou moins vives.

Sur la scène française, cela s’est traduit, fin février, par la visite remarquée de quatre parlementaires – deux députés, deux sénateurs – en Syrie, où ils ont eu l’occasion de s’entretenir avec le président Bachar Al-Assad, le président de l’Assemblée du peuple ainsi que le mufti de la République syrienne. Une visite tranchant ouvertement avec la politique française instaurée début 2012 et jusqu’alors en vigueur, consistant en une suspension totale des discussions avec les autorités syriennes du fait de leurs exactions au cours de la guerre civile agitant le pays depuis 2011. Leur visite a d’ailleurs été largement condamnée, par l’Elysée, Matignon et le Quai d’Orsay comme par l’opposition.

Sur le fond, un des députés a déclaré vouloir « faire bouger les lignes », considérant que le refus de collaborer avec Damas entravait l’efficacité de la lutte contre l’Etat islamique, à laquelle participe la France au sein d’une coalition internationale. Des déclarations qui font écho aux récurrents débats entre les services extérieurs français sur l’opportunité d’une reprise de contact avec le pouvoir syrien, les services de renseignement arguant des facilités qu’une collaboration pourrait apporter dans le traçage des djihadistes français. Pour autant, c’est la première fois que cette remise en cause se trouve publiquement exposée, et le fait qu’elle soit l’initiative de représentants élus ajoute à la complexité. Si les députés ont en effet insisté sur le caractère « personnel » de leur voyage (payée par eux-mêmes), leur statut donne à cette visite un caractère indéniablement politique et l’on peut s’interroger sur la pertinence d’une démarche aussi franche et frontale sur un sujet où, par nature, les acteurs sont déjà nombreux – au sein de la coalition comme au sein des groupes armés sur place. Les pays européens sont déjà eux-mêmes divisés sur la question et une telle action trouble la position de la France dans un paysage déjà peu clair.

L’autre exemple du genre est à chercher aux Etats-Unis, où depuis la reconquête du Sénat par les républicains fin 2014 les tensions avec Barack Obama se multiplient, notamment en matière de politique étrangère. Fin janvier le Sénat et la Chambre des représentants républicains ont ainsi adopté une loi autorisant la très controversée extension de l’oléoduc Keystone, contre laquelle le Président Obama a posé son veto. Celui-ci estime d’une part que toute décision est soumise aux résultats des enquêtes environnementales et économiques actuellement en cours, et d’autre part que le Parlement outrepasse ses compétences dans la mesure où, partant du Canada, ce projet présente une dimension internationale, domaine privilégié du Président. Plus récemment, l’invitation et la réception de Benyamin Netanyahou par la Chambre des représentants a été très mal perçue par le Maison blanche, mise au courant de la démarche quelques moments seulement avant sa publication. Sur le fond, le premier ministre israélien y a répété son opposition totale à un potentiel accord sur le nucléaire iranien, pour qui une telle démarche ne peut qu’aboutir à une déstabilisation de la région. Dans la foulée, un groupe de 47 sénateurs républicains a publié début mars une lettre ouverte aux responsables politiques iraniens, les enjoignant à ne pas signer l’accord en négociations, promettant en cas de victoire républicaine en 2016 de revenir dessus.

Ce faisant, les républicains participent d’une double-décrédibilisation : sur le plan international, le protocole de Genève de novembre 2013 conclu dans le cadre du format 5+1 se trouve fragilisé ; sur le plan intérieur, ils font fi de la pratique qui veut, par soucis de cohérence et d’efficacité, que l’exécutif mène les négociations et qu’en cas de traité le Parlement en prenne acte ou non par ratification. Avec ces menaces, les républicains inventent un dangereux type de pratiques, prenant la continuité de la diplomatie d’Etat et de ses engagements, principe essentiel des relations internationales, en otage de clivages partisans.

Si les cas français et américains diffèrent par leur plus ou moins grande « politisation », le constat est donc toujours celui d’une perturbation de situations souvent déjà bien compliquées et d’une décrédibilisation du pays concerné. Est-ce à dire que, sur la scène internationale il n’y a de place pour les Parlements qu’en fin de processus ? Doivent-ils être en la matière de simples chambres d’enregistrement ?

A l’inverse, n’existe-il pas plutôt des domaines pour lesquels, en matière de coopération internationale, l’expérience et les travaux des parlementaires font d’eux de potentiels ambassadeurs ?

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