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Conclusions du rapport Mueller, un Donald Trump non incriminé, mais pas épargné

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Le 18 avril 2019 représente un tournant décisif pour l’ère Trump. C’est à cette date que le rapport Mueller du procureur spécial éponyme a été rendu public. Celui-ci est l’aboutissement de deux années d’enquête sur de possibles collusions avec la Russie dans le cadre de l’élection de 2016. Il relève cependant d’une réalité plus complexe, ayant élargi son champ d’investigation à des cas d’obstruction à la justice. Dans les faits, le rapport de 448 pages cristallise toutes les craintes de l’administration présidentielle, reprenant même les propos de Donald Trump de mai 2017 : « C’est la fin de ma présidence, je suis foutu ! ».

Une photographie de Robert Mueller
Robert Mueller, auteur du rapport éponyme sur les potentielles ingérences russes pendant l’élection de 2016

L’enquête prend racine dans le contexte houleux de la campagne de 2016. A plusieurs reprises, le camp démocrate accuse l’équipe de Donald Trump d’encourager la Russie à mener des opérations de déstabilisation, notamment dans le cadre de l’affaire des e-mails.  Le directeur du FBI, James Comey, est auditionné à cet égard par le Congrès en janvier 2017, déclarant ne pas avoir diligenté d’enquête sur une possible collusion. Donald Trump annonce en mai 2017 le limogeage de James Comey sur des motifs douteux. En parallèle, la presse et le renseignement américains font état de rencontres en 2016 entre le procureur général Jeff Sessions et l’ambassadeur de Russie aux Etats-Unis, Sergueï Kislyak. Cela aboutit le 18 mai 2017 à la nomination de Robert Mueller, ancien directeur du FBI, comme procureur spécial chargé d’une enquête indépendante sur le sujet.

« Moralement répugnant » : pas de preuves avérées de collusion, mais un Donald Trump sévèrement égratigné

Le rapport Mueller n’expose aucune preuve de collusion ou d’entente entre Donald Trump, ses équipes et les autorités russes. C’est le point que s’est empressée de souligner l’administration présidentielle, peu avant sa publication. L’Attorney General William Barr a ainsi convoqué une conférence de presse pour souligner l’innocence du président et affirmer sa légitimité. Une initiative pourtant très critiquée, accusée d’instrumentaliser la situation. Cory Booker, Sénateur du New Jersey en témoigne : « Encore une fois, l’Attorney General Barr a tenté de dénaturer le rapport avant même d’en fournir le contenu officiel ou les éléments de preuve qui le sous-tendent. Cela sape l’indépendance même de tout ce processus ».

Cette conception est très subjective, comme l’ont peu après démontré les conclusions concrètes du rapport Mueller. En effet, le procureur spécial, outre l’absence de preuves de collusion, expose une rencontre entre des membres de l’équipe de campagne de Donald Trump et des ressortissants russes le 9 juin 2016. Robert Mueller écrit à cet égard que cette réunion visait à « recevoir des informations de la Russie qui pourrait aider le candidat Trump dans son entreprise électorale ». Ce à quoi les interlocuteurs ont opposé une fin de non-recevoir. Le procureur spécial Mueller souligne également des interférences (numériques) russes « de manière généralisée et systématique », mais pas au point d’inculper ou condamner directement Donald Trump ou ses équipes.

Malgré l’absence d’éléments judiciairement préjudiciables, le rapport Mueller pointe le caractère discutable des pratiques de Donald Trump. Un éditorial du Washington Post du 19 avril 2019 aborde cela : « l’équipe de campagne de Trump n’a pas refusé cette aide, ce qui est répugnant d’un point de vue moral ». Le rapport Mueller dépeint en effet un portrait au vitriol de Donald Trump. Sont notamment concernés des pressions du président américain sur Robert Mueller, des nominations et limogeages pour services rendus dans un cadre clair d’affairisme, des propos calomnieux ou encore un système « mafieux », Donald Trump étant même qualifié de « parrain ». Les relations des proches du chef d’Etat sont également soulignées, à l’instar de celles entretenues par ses ex-conseillers informels, George Papadopoulos et Carter Page avec des oligarques russes.

De nombreuses interrogations en suspens quant aux accusations d’obstruction à la justice

L’enquête diligentée par Robert Mueller ne s’est pas bornée à la question de l’hypothétique collusion russe. En effet, un second volet concernant plusieurs tentatives d’obstruction à la justice de la part du président Trump a été ouvert le 15 juin 2017. Cela intervient peu après le limogeage de James Comey, avec de fortes suspicions de blocage des investigations alors menées par le FBI. Les conclusions du rapport Mueller insistent sur ce fait : « Si nous étions sûrs, après une enquête rigoureuse, que le président n’a clairement pas commis d’entrave à la justice, nous le dirions. Sur la base des faits et des standards légaux applicables, nous ne sommes pas en mesure de prononcer ce jugement ». De surcroît, le rapport présente d’autres cas allégués à l’encontre du procureur spécial Mueller.

Dans sa méthodologie, le rapport s’est appliqué à étudier 10 cas impliquant directement Donald Trump depuis janvier 2017. Parmi les plus significatifs, le cas du 14 juin 2017, lié à la nomination de Robert Mueller comme procureur spécial et à l’ouverture de l’enquête. Donald Trump aurait alors exigé de Don McGahn, conseiller juridique de la Maison-Blanche, qu’il accuse publiquement Robert Mueller de conflits d’intérêts et qu’il procède à sa démission immédiate. Le conseiller aurait refusé de s’y plier. Frustré par cet échec, le président américain aurait persévéré en ce sens. Le 19 juin 2017, Donald Trump convoque son ancien directeur de campagne, Corey Lewandowski, et lui demande d’adresser un message à Jeff Sessions. L’ambition est que le procureur général prenne publiquement sa défense en pointant une enquête « très injuste » à son encontre. Là encore, cela serait resté lettre morte.

Malgré ces multiples scénarios juridiques, Robert Mueller n’a pas pris le parti de procéder à des condamnations directes. Toutefois, l’ensemble de ces cas se veut évolutif, la publication du rapport ouvrant la voie à d’autres enquêtes approfondies. C’est ce dont témoigne le procureur spécial, ayant estimé que « le Congrès garde la capacité de décider » d’une éventuelle culpabilité de Donald Trump. En effet, les thématiques en suspens balayent un spectre large, allant des raisons de la destitution de James Comey à de nouvelles interférences du président quant à l’enquête de Robert Mueller.  Outre le cadre strictement juridique, l’objectif affiché est également que l’opinion puisse s’emparer de ces sujets.

Une réaction immédiate de la classe politique américaine

Un tweet de Donald Trump
Le tweet de Donald Trump suite à la publication du rapport Mueller. Un cri de victoire très rapide

Donald Trump se targue, eu égard aux conclusions du rapport Mueller, d’une victoire totale. Coutumier du fait, ce dernier s’est fendu dès le 18 avril d’un tweet lunaire : « No collusion, no obstruction […] Game Over ». Cela corrobore la position de l’administration présidentielle, considérant l’absence d’éléments de preuve comme un levier de légitimité. Une conception pourtant déconnectée de la réalité, comme le pointent les suspicions rémanentes d’obstruction à la justice. D’autre part, l’enquête de Robert Mueller a en parallèle conduit à l’arrestation de Paul Manafort, l’un des anciens directeurs de campagne du président, ou encore de son avocat Michael Cohen pour des faits non liés à l’ingérence russe. Donald Trump a indubitablement été fragilisé par cette enquête. La cote du président américain a ainsi chuté à son plus bas niveau depuis le début de l’année. Au-devant de tous ces éléments, Donald Trump a tempêté le 19 avril que le rapport était finalement un « total bullshit ».

Le parti démocrate attendait d’autre part de pied ferme les conclusions du rapport. Malgré l’absence d’incrimination, certains élus ont lancé des appels à la destitution envers Donald Trump. C’est le cas des sénatrices Kamala Harris et Elizabeth Warren. Cette dernière a en effet déclaré que la chambre des représentants, acquise aux démocrates, devrait engager une telle procédure. Selon elle, « ignorer les efforts répétés d’un président pour empêcher une enquête sur ses propres agissements causerait des dégâts graves et pérennes à ce pays ». Cette position reste toutefois isolée. Nancy Pelosi, speaker démocrate de la chambre des représentants, a par ailleurs appelé à la retenue à ce sujet, laissant au Congrès la discrétion d’une enquête approfondie. Le rapport Mueller a ébranlé Donald Trump, bien qu’aucun élément de condamnation ne se soit fait jour. Le Congrès américain a maintenant les cartes en main dans cette affaire.

Sources :

BERENSON Tessa. “William Barr Just Ensured He’ll Stay Front and Center in the Mueller Report Debate”, Time, 18 avril 2019

BOURCIER Nicolas. « Enquête russe : le procureur Mueller, cauchemar de Donald Trump », Le Monde, 9 janvier 2019

DILANIAN Ken. “Mueller report shows Russians, Trump camp were friends with benefits. Collusion by another name?” NBC News, 19 avril 2019

EUROPE 1. « Ingérence russe : le procureur spécial enquête sur Trump pour entrave à la justice », Europe 1, 15 juin 2017

FANDOS Nicholas. “Pelosi Urges Caution on Impeachment as Some Democrats Push to Begin”, The New York Times, 22 avril 2019

GELIE Philippe. « Donald Trump indemne après la sortie du rapport Mueller », Le Figaro, 18 avril 2019

HUFFINGTON POST. « Trump dénonce les “conneries absolues » du rapport Mueller (après l’avoir acclamé », Huffington Post, 19 avril 2019

LE MONDE. « Enquête russe : le rapport du procureur américain Mueller a été rendu public », Le Monde, 18 avril 2019

LE MONDE. « Enquête russe : le rapport du procureur américain Mueller a été rendu public », Le Monde, 18 avril 2019

LE MONDE. « Dans le rapport Mueller, un Donald Trump déplorable mais pas coupable », Le Monde, 19 avril 2019

LE MONDE. « Elizabeth Warren, une des rares élues démocrates à exiger la destitution de Donald Trump ». Le Monde, 19 avril 2019

LIBERATION. « Un procureur spécial, vétéran du FBI va enquêter sur Trump et la Russie », Libération, 18 mai 2017

PARIS, Gilles. « Trump : le procureur Mueller a remis son rapport sur les soupçons de collusion avec la Russie ». Le Monde, 22 mars 2019

PEREZ Evan, PROKUPECZ Shimon, WATKINS Eli. “Sessions did not disclose meetings with Russian ambassador”, CNN, 2 mars 2017

STEWART Emily. “These are the 10 episodes Mueller investigated for obstruction of Justice”, Vox, 18 avril 2019

TATE Julie, VITKOVSKAYA Julia. “From Clinton emails to alleged Russian meddling in elections. The events leading up to Comey’s firing”. The Washington Post, 10 mai 2017

THE WASHINGTON POST. « Etats-Unis. Le rapport Mueller, où le vrai visage de la présidence Trump ». The Washington Post repris par Courrier International, 19 avril 2019

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Antoine Vandevoorde

Antoine Vandevoorde est analyste en stratégie internationale, titulaire d'un Master 2 Géoéconomie et Intelligence stratégique de l'IRIS et de la Grenoble Ecole de Management depuis 2017. Ses domaines de spécialisation concernent la géopolitique du cyberespace, les relations entreprises - Etats, l'intelligence économique et l'Afrique. Il est rédacteur aux Yeux du Monde depuis mars 2019.

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