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Vers une différenciation accrue des Kurdistans

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A la faveur de l’offensive menée par l’hétéroclite coalition de l’Etat Islamique (EI), le grand public a pu découvrir, sinon l’existence, du moins la solidité et le sérieux des institutions kurdes irakiennes, devenues en quelques semaines le centre des attentions occidentales. L’occasion de faire le point sur l’ensemble du Kurdistan dont les quatre entités nationales – à l’exception de celle iranienne – suivent depuis maintenant quelques mois des trajectoires plus ou moins distinctes.

Profitant de la déliquescence de l’État irakien, les Kurdes d’Irak ont donc su mobiliser leurs forces vives (peshmergas) et ainsi se positionner sur le terrain comme les adversaires les plus crédibles face aux exactions de l’EI. En témoignent les frappes américaines et les livraisons d’armes françaises et britanniques ayant pour objectif de pallier le sous-équipement des Kurdes face à des djihadistes équipés d’armes américaines récupérées dans des bases de la fuyante armée régulière irakienne. Des mesures qui permettent pour le moment de légères reconquêtes, à l’instar de celle du barrage de Mossoul, reprise aux mains des terroristes.

Considérant le long terme, certaines voix s’élèvent cependant contre un tel appui aux Kurdes irakiens, arguant qu’une fois la vague djihadiste repoussée, la puissance militaire accrue de la zone autonome kurde jouera en faveur d’une scission pure et nette de la région vis-à-vis du reste du pays – le président kurde Barzani ayant déjà indiqué qu’un référendum serait organisé à ce propos. Une indépendance potentiellement pourvoyeuse de nouvelles tensions, avec l’Iran notamment, qui compte sur son propre sol 10 millions de Kurdes et qui considère l’ensemble de l’Irak comme sa chasse gardée – le pays a ces jours-ci joué un grand rôle dans l’éviction de Nouri Al-Maliki.

En Syrie, les Kurdes représentent près de deux millions d’individus et administrent eux-aussi, depuis fin 2013, leur propre territoire autonome, que Bachar Al-Assad a bien voulu leur concéder en échange de leur neutralité au sein de l’actuelle guerre civile. Depuis, les kurdes syriens ont fait preuve d’initiative en prenant ces jours-ci une part active aux combats contre l’EI et en organisant presque seuls l’évacuation des populations yézidis vers le Kurdistan irakien. Dirigés par le PYD, proche du PKK turc, les syriens semblent donc suivre tortueusement la voie de leurs voisins irakiens même si là encore la nature de leurs relations avec le pouvoir central sur le long terme reste vague.

Finalement, au moment où certaines populations kurdes atteignent une autonomie longtemps fantasmée, voire l’horizon d’une indépendance, c’est paradoxalement en Turquie, théâtre de 40 ans de guérilla kurde, que la situation semble la plus paisible. Bien que largement dominée par Erdogan, la toute récente campagne présidentielle a lancé un symbole fort en adjugeant près de 10% des voix au candidat du HDP, pro-kurde. Plus encore que le score, c’est la manière dont ce parti a mené la campagne qui marque un tournant. Le contentieux kurde n’y était en effet plus qu’une composante d’un programme plus large, porté par les forces d’une gauche progressiste naissante. Mené par une jeunesse urbaine et diplômée, le HDP s’est distingué par sa dénonciation de la dérive autoritaire d’Erdogan et par la défense d’une démocratie plus participative. De fait, longtemps résumée à une confrontation armée entre un pouvoir militarisé et une minorité menaçante, la question kurde se pose désormais dans des termes plus sains en glissant progressivement sur le terrain des idées politiques et des enjeux sociétaux.

Entre statu quo (Iran), autonomisation (Irak/Syrie) et progressive acceptation (Turquie), la revue des différents Kurdistans se révèle donc particulièrement enrichissante afin d’appréhender les réalités moyen-orientales. Elle permet d’établir, au moins en partie, un spectre du statut des minorités au Moyen-Orient, tout comme elle incite à mieux prendre en compte leur fonctionnement transfrontalier qui répond d’une approche de l’espace moins sensible aux structures étatiques.

 

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