Coalition versus Etat islamique: l’infoguerre
Lundi 27 octobre 2014, une réunion internationale regroupant les principaux États membres de la coalition luttant contre l’État islamique (États-Unis, des pays européens dont la France et la Grande-Bretagne mais aussi l’Égypte, le Canada, des pays du Golfe et du Moyen-Orient) a lieu à Koweït City. Il s’agit de trouver et de coordonner des moyens efficaces de lutte contre l’État islamique. Dans ce cadre, le général américain John Allen, commandant de la coalition, prend l’initiative de mener une guerre multifrontale contre l’État islamique incluant la guerre de l’information.
Obama a tiré les leçons des expériences malheureuses de l’administration précédente en formant une large coalition qui intègre à la fois des pays occidentaux et des États arabes et musulmans. Ce président si décrié aujourd’hui réalise ainsi un coup de maître. L’effort de guerre américain est légitimé puisque les États-Unis ont réussi à convaincre des partenaires a priori récalcitrants – comme la France qui refusait d’entrée en guerre contre l’Irak il y a onze ans – à mener aujourd’hui une guerre dont les Américains portent une large part de responsabilité. La guerre de l’information a donc commencé tôt car il a fallu persuader la communauté internationale du bien-fondé de l’engagement militaire anti-terroriste américain puis rassembler une vaste coalition dont l’hétérogénéité constitue moins une force de frappe militaire augmentée qu’un argument justifiant l’ensemble de cette entreprise.
Un constat s’impose vite : les armes traditionnelles sont nécessaires mais insuffisantes pour détruire l’EI.
Ce groupe armé terroriste issu d’Al-Qaida lance un défi à l’Occident en s’autoproclamant « État islamique », nouveau califat et en recrutant des combattants européens : il s’agit du défi de la légitimité par l’information. C’est pourquoi Richard Stengel, l’actuel sous-secrétaire d’État américain aux affaires publiques et ancien directeur de la rédaction du Time, a énoncé la volonté américaine de bâtir une « coalition de l’information », complémentaire à la coalition militaire existante. L’idée est de mener une guerre par les armes et par le verbe. Une guerre sur le terrain idéologique qui confronte les appareils de propagande dans une lutte asymétrique du fort au faible pour « gagner les cœurs et les esprits ». Nous avons affaire typiquement à un contexte de « petite guerre » pour reprendre l’expression coloniale c’est-à-dire de guérilla, d’insurrection et de contre-insurrection nécessitant des opérations de contre-propagande et de contre-influence d’une ampleur jusqu’à maintenant inégalée puisque, contrairement à l’époque coloniale et aux insurrections du XXème siècle, le conflit irako-syrien est pleinement intégrée à la globalisation actuelle.
En effet, les filières de recrutement de l’EI sont transnationales. Ses vidéos soignées prouvent tantôt la force de l’EI (explosion, violence, armes) tantôt son humanité et sa normalité (école) voire visent un attendrissement (chaton). Tout est bon pour sensibiliser l’opinion publique. L’incroyable force des images et les possibilités de diffusion par arborescence au sein des réseaux sociaux décuplent la résonance des messages d’une entité de quelques milliers de combattants. Rappelons qu’Hollywood a habitué les populations du monde entier a visionné des films d’action violents et guerriers. Ce phénomène d’accoutumance généralisée à la violence est parfaitement réemployé par les communicants de Daech qui diffusent des vidéos ultraviolentes pour transmettre un message percutant et recruter des combattants en utilisant les codes que les studios californiens ont largement imprimé dans nos esprits. Nous assistons alors au retournement des instruments du soft power américain contre les États-Unis eux-mêmes.
Aujourd’hui, le débat est focalisé sur la dénomination de l’organisation terroriste. Il ne faut plus dire « État islamique » car ce serait faire la promotion de ce groupe terroriste armé en l’élevant au rang d’État et l’ériger en symbole représentatif de l’islam en lui adjoignant le qualificatif « islamique ». L’objectif adopté consiste en la décrédibilisation par la réification : dire « Daech » revient à rejeter ce groupe dans la barbarie en tant que chose innommable. Daech est un acronyme dénué de sens pour un non-arabophone ou doté d’une connotation péjorative pour un Arabe. Il renvoie à daes « celui qui écrase du pied » ou dahes « celui qui sonne la discorde » selon Wassim Nasr, journaliste à France 24.
Désinformation, cyberguerre et offensive médiatique constituent les armes indispensables afin de décrédibiliser le message terroriste, limiter sa diffusion et sa portée. La guerre de l’information prônée par l’Amérique est une guerre du sens puisque l’on cherche à priver de sens un groupe armé terroriste et son message idéologique. L’ennemi n’est pas terrassé physiquement mais il est frappé de mutisme tandis que son identité est estompée. Assurément, une guerre de longue haleine…