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Comment interpréter la fin de l’immobilisme turc face à l’Etat Islamique ?

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Alors que la Turquie avait jusque-là réduit au maximum son implication dans le conflit contre l’Etat Islamique, des avions de chasse turcs ont pour la première fois bombardé des positions djihadistes en Syrie. Comment comprendre la fin de l’attentisme turc et quelles conséquences cet interventionnisme nouveau peut-il avoir sur la lutte contre l’Etat Islamique ?

La base aérienne turque d’Incirlik
La base aérienne turque d’Incirlik

Malgré son appartenance à l’OTAN ainsi qu’à la coalition internationale, la Turquie d’Erdogan avait jusqu’à présent limité son engagement à l’encontre de l’Etat Islamique et affichait une position ambiguë. Fermement opposée au gouvernement syrien de Bachar el-Assad depuis les exactions perpétrées par le régime en place au cours de la guerre civile qui sévit depuis 2011, elle était ainsi régulièrement pointée du doigt pour sa complaisance (et même pour son soutien logistique début 2014) envers les djihadistes de l’Etat Islamique, en lutte ouverte avec le régime de Damas.

Par ailleurs, la question kurde revêt également une position centrale dans l’immobilisme d’Ankara. Le peuple kurde est en effet réparti sur de vastes territoires incluant plusieurs pays, notamment la Turquie (dont environ 20% de sa population est kurde), la Syrie et l’Irak. Face à la montée en puissance de l’organisation terroriste dans leurs bastions, les Kurdes (notamment le Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, mais aussi les Kurdes syriens du PYD et les peshmergas, terme désignant les combattants kurdes d’Irak) n’ont eu d’autre choix que de faire front face à l’Etat Islamique. La Turquie, en opposition armée avec le PKK depuis les années 1980 (malgré un timide processus de paix engagé en 2013), n’aurait ainsi pas voulu s’opposer à une organisation en lutte avec ce mouvement de guérilla kurde combattu depuis plus de trente ans : en effet, la crainte d’Ankara serait de voir les Kurdes vaincre les djihadistes et prétendre à une reconnaissance internationale permettant la création d’un Etat kurde comprenant éventuellement une partie du territoire turc actuel : une revendication impensable aux yeux de la Turquie. Dans ce contexte, pas étonnant que la Turquie ait décidé, en parallèle de ces frappes aériennes à l’encontre de l’Etat Islamique, de procéder à une vague d’arrestations de grande ampleur visant les militants du PKK.

Pourquoi un tel changement d’attitude et pour quelles conséquences ?

La Turquie était, jusqu’à présent, globalement épargnée par l’Etat Islamique, l’organisation préférant se concentrer sur son expansion en Syrie et en Irak. Mais l’attentat de Suruç (en Turquie), à l’origine d’au moins 32 morts le 20 juillet dernier, a changé la donne, cette agression portant pour Ankara la marque de l’Etat Islamique. Cette attaque, ajoutée aux tensions et accrochages récurrents entre policiers turcs et djihadistes à la frontière syrienne, a poussé le gouvernement turc à agir. Outre la décision de bombarder les positions djihadistes et de renforcer les contrôles à la frontière syro-turque, Ankara a également autorisé les Etats-Unis à utiliser ses bases aériennes (dont celle d’Incirlik, à seulement 300km de Kobané) pour mener des raids sur l’Etat Islamique. Et une intervention terrestre turque dans le Nord de la Syrie n’est désormais plus à exclure, celle-ci pouvant en particulier permettre d’empêcher la création d’un Etat kurde aux portes de la Turquie.

Quoiqu’il en soit, la Turquie a d’ores et déjà annoncé, notamment par le biais de son Premier ministre et ancien Ministre des Affaires étrangères de 2009 à 2014, Ahmet Davutoglu, que ces opérations seraient reconduites. Nul doute que l’implication nouvelle d’un Etat à la position géostratégique majeure sera un grand plus pour la coalition internationale. Mais jusqu’où la Turquie sera-t-elle prête à aller dans sa lutte contre l’Etat Islamique, sans risquer de voir un Kurdistan autonome se former dans la région ?

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