Comprendre le renforcement de l’arc sunnite 2/2
Comme vu dans un précédent article, l’Arabie Saoudite est à la tête de ce front arabe sunnite. Cependant, elle n’est pas la seule à voir ses intérêts menacés par une montée en puissance de l’Iran. D’autres pays comme le Qatar, le Bahreïn, les Emirats ou encore l’Egypte font partie de ce front. Nous nous interrogerons ici sur la manière dont les pays arabes sunnites se sont renforcés pour contenir l’influence de l’Iran dans cette région.
Le Conseil de Coopération du Golfe
Créé en 1981, cette organisation interétatique a pour but officiel de favoriser le développement économique des six pétromonarchies du Golfe arabo-persique : Arabie Saoudite, Koweït, Qatar, Emirats Arabes Unis, Bahreïn et Oman. Outre ce premier objectif, cet organe sert aux gouvernements à s’accorder sur une défense mutuelle d’intérêts face à l’Iran. En effet, tous ces pays sont exportateurs de pétrole et sont dépendants du transit maritime de la production via le détroit d’Ormuz. Or ce détroit est un verrou géopolitique que l’Iran peut bloquer unilatéralement par la force si elle décide de la politique du pire. Cette coopération sert donc à se serrer les coudes face aux gesticulations iraniennes à répétition. Cette coopération s’est notamment traduite par la mise en place dès 1984 d’une force militaire commune. Inutilisée jusqu’en 2011, elle fit son baptême du feu en réprimant férocement le soulèvement de la jeunesse bahreïni. Cette intervention extérieure se justifiait par les soupçons de la main iranienne derrière ce soulèvement contre la monarchie. Cependant, le renforcement de ce front sunnite ne concerne pas seulement le Golfe, il s’élargit également au monde arabe pour garantir la prédominance du sunnisme.
Le renforcement des capacités stratégiques des partenaires
Situation paradoxale à première vue : les pays du Golfe et plus particulièrement l’Arabie Saoudite financent les budgets des états voisins afin de les rendre plus résistants face aux menaces de la région. En 2014, l’Arabie Saoudite a fait un don de 3 milliards d’euros au Liban pour qu’elle puisse se fournir en armement français. Adressée à l’armée libanaise, cette aide vise à lutter contre l’expansion du rôle – déjà très influent – du Hezbollah dans le pays du cèdre. Le montant de cette aide est à mettre en comparaison avec d’autres chiffres pour souligner sa portée : cela représente plus de deux fois le budget annuel de la Défense libanaise ; cela représente plus de trois fois le total de l’aide américaine fournie depuis une décennie.
Autre pays bénéficiaire : l’Egypte du maréchal Al-Sissi. Il s’agit de l’un des pôles du Moyen-Orient qui nécessite le plus de stabilité. Avec 2 révolutions et 3 constitutions en 4 ans, la stabilité politique ne proviendra que d’un un retour à la sécurité et une sortie de crise économique. C’est pourquoi dès la destitution de Mohammed Morsi en 2013, le royaume d’Arabie, les Emirats et le Koweït se sont groupés pour accorder une aide 12 milliards d’euros. En 2014, une seconde aide de 21 milliards d’euros venait compléter les finances déficitaires égyptiennes. Tout aussi illustratif, l’année 2015 a été marquée par 2 gros contrats d’export d’armement français : un premier contrat portant notamment sur 24 Rafales ainsi qu’une frégate, puis un second contrat cédant les BPC Mistral. Ces contrats n’auraient pu être conclus sans l’appui de financements saoudiens et émiratis. Le soutien démontré à l’Egypte s’explique pour plusieurs raisons : tout d’abord l’Egypte doit garantir sa sécurité interne au Sinaï et contrer les menaces sur sa frontière avec la Libye. Forte de 85 millions d’habitants, il s’agit d’un foyer important de population dans la région. Ce pays sunnite représente un peu moins du double de la population des membres du CCG… Il s’agit donc d’un atout stratégique en cas de conflit, et ce d’autant plus que l’Egypte a toujours présenté une tradition militaire forte, faisant de son armée une institution puissante et un gage de stabilité. Enfin, l’Egypte est également en première ligne pour assurer la sécurisation du Canal de Suez et son prolongement : la Mer Rouge.
L’intervention au Yémen comme démonstration de force ?
L’Arabie Saoudite considère le Yémen comme sa « chasse-gardée ». Elle n’a pas toléré que l’Iran puisse y soutenir une révolution. Cette déstabilisation sur son flanc Sud a provoqué une mobilisation immédiate et concrète de cet « arc sunnite ». Sans attendre une quelconque participation américaine, l’Arabie Saoudite a rassemblé sous sa coupe plusieurs pays membres de la Ligue arabe. L’Egypte non plus n’a pas hésité à participer militairement pour lutter contre ce qui est assimilé à une ingérence iranienne dans les affaires yéménites. Cela s’explique par le risque de déstabilisation du Détroit de Bab-El-Mandeb. Ce conflit permet de mettre en pratique un début de coopération militaire large entre pays arabes sunnites. Certaines déclarations de dirigeants ont même débouché sur un accord de principe pour la création d’une force militaire arabe.
En conclusion, cet « arc sunnite » existe depuis déjà plusieurs années mais comme nous l’avons constaté, il s’est considérablement renforcé récemment. Au sein de cet arc, tous les pays n’ont pas les mêmes intérêts, et tous n’entretiennent pas les mêmes relations. Par exemple, l’Egypte priorise davantage le risque terroriste des Frères Musulmans, que l’influence chiite. Cependant, le royaume d’Arabie Saoudite est le pays qui se sent le plus menacé par cette influence. En cela, il met tout en œuvre pour renforcer les pays arabes et contenir la puissance régionale perse.