Israël est-il encore un Etat « juif et démocratique » ?
L’évolution vers la droite de la politique israélienne n’est pas nouvelle. Le vote par la Knesset, le 19 juillet, d’une loi fondamentale qui définit Israël comme « l’Etat-nation du peuple juif » constitue tout de même une petite révolution. Ce texte, poussé par la frange la plus conservatrice de la coalition au pouvoir, est en contradiction avec la précédente définition, qui insistait sur la caractère « juif et démocratique » d’Israël.
Un Etat juif et démocratique dès sa création
Israël s’est affirmé, dès sa création en 1948, comme un Etat juif, né de la tradition sioniste, qui considérait la création d’un Etat propre aux Juifs comme la seule solution pour mettre fin à leur discrimination. Dès le départ, Israël cherche à se construire comme un Etat majoritairement juif. C’est pourquoi, Tsahal (abréviation hébraïque des Forces de Défense Israéliennes) cherche à pousser au départ nombre d’Arabes vivant sur le territoire alloué par l’ONU à Israël en 1947. Toutefois, si la déclaration d’indépendance d’Israël appelle à un retour à la terre ancestrale du peuple juif, elle consacre aussi son caractère démocratique et l’égalité de tous les citoyens, qu’ils soient juifs ou non. Il n’y a d’ailleurs pas de plan visant à chasser systématiquement les populations arabes du nouvel Etat, même si les circonstances en donnent parfois une vision différente.
Le virage sioniste religieux
Depuis lors, les politiques israéliens ont proposé différentes acceptions de la combinaison de judéité et de démocratie. En 1992, une loi fondamentale (Israël n’a pas de constitution) consacre le tandem « juif et démocratique ». Pourtant, dès la création d’Israël, les ultraorthodoxes, membres de la coalition gouvernementale, s’emploient à imposer le strict respect de la halakha, la loi religieuse juive, qui leur paraît devoir primer sur le respect de l’égalité des Juifs et des non-Juifs. Leur poids politique, qui dépasse rarement 15% des suffrages, limite toutefois leur activisme à la politique d’enseignement. Les tensions se sont aggravées avec l’occupation de la Cisjordanie en 1967, suite à la guerre des Six Jours. En effet, il devient alors difficile pour Israël de respecter les termes de sa déclaration d’indépendance : en refusant le droit de vote aux populations arabes occupées il nierait l’égalité des citoyens, mais en le leur accordant il risquerait de condamner le caractère majoritairement juif d’Israël. Le gouvernement israélien botte en touche: Tsahal occupe militairement la Cisjordanie en attendant d’hypothétiques négociations avec les Etats arabes sans pour autant l’annexer. Les Palestiniens restent donc officiellement des citoyens jordaniens. Or, le fait d’avoir recouvré la Judée-Samarie (nom donné par les ultranationalistes et les ultraorthodoxes à la Cisjordanie) donne des ailes aux plus conservateurs, convaincus de pouvoir réaliser le rêve du Grand Israël. Le virage religieux de la droite laïque – par opportunisme – et le virage sioniste de certains ultraorthodoxes – par idéologie – dans les années 1970, ainsi que l’ascension démographique et politique des juifs orientaux (originaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient) perturbe alors sérieusement le lien étroit entre judéité et démocratie. L’aura politique des sionistes religieux parmi les colons dont l’installation est fortement encouragée par la droite, mais aussi l’échec du processus d’Oslo et les vagues d’attentat dans les années 2000 accentuent l’importance accordée à la judéité d’Israël.
Il convient néanmoins de différencier entre les partisans de cette nouvelle loi fondamentale : Le Likoud (droite) agit avant tout par opportunisme politique et reste attaché à la démocratie, bien qu’il cherche à étendre au maximum Eretz Israël (la « Terre d’Israël »). Ysrael Beytenou, parti des Juifs russophones, marqués par l’expérience soviétique, défend une conception nationaliste et ethnique mais pas religieuse d’Israël. Enfin, les sionistes religieux s’embarrassent peu de démocratie. Ils voient Israël comme une entité unique en son genre, réservée au peuple juif et devant appliquer des lois divines. Dès lors, un Etat démocratique israélien ne serait pour eux qu’un Etat comme les autres, sans plus d’intérêt que ceux dans lesquels les Juifs vivaient avant 1948.
La cour suprême, gardienne du temps de la démocratie israélienne
Pour autant, ce n’est pas le fait qu’Israël soit déclaré « Etat-nation du peuple juif » qui constitue en soi un tournant majeur, puisque c’est là déjà le désir des pères fondateurs. Cependant, c’est bien plutôt la disparition du terme « démocratique », niant ainsi les droits des minorités non-juives. Il ne faut toutefois pas oublier le pouvoir et le respect dont jouit la cour suprême israélienne, qui s’est toujours portée garante de la démocratie, et a défendu vigoureusement les droits des citoyens arabes d’Israël, malgré une discrimination économique réelle. Ces derniers ont ainsi toujours bénéficié du droit de vote – fait rare dans la région. Il est donc peu probable que la Cour suprême reste inactive face à cette loi fondamentale.