Syrie : le jeu trouble du président Erdogan
Dès le début de la révolution syrienne, l’Etat turc s’est retrouvé dans une posture délicate. Pourtant prudent vis-à-vis du pouvoir en place, le gouvernement a aussi été tenté de jouer la carte de l’opposition. C’est pourquoi, la Turquie a dans un premier temps, essayé de tenir le rôle de médiateur entre le régime de Damas et l’opposition, pour convaincre Bachar al-Assad de prendre en considération les revendications de son peuple et d’engager les réformes politiques et structurelles nécessaires. Cependant, le président syrien ne prendra pas acte des recommandations faites par Ankara. Dans le même temps, le président Erdogan continua lui à développer ses relations avec l’opposition.
Recep Tayyip Erdogan profite du chaos syrien pour asseoir son autorité et son influence.
En août 2011, lors du massacre de Hama, la Turquie a effectué un tournant drastique dans sa vision du régime syrien, si bien que le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, a été jusqu’à déclarer devant le Parlement que « négocier avec le président Assad reviendrait à serrer la main d’Hitler » [1]. De plus, Bachar al-Assad joue ouvertement la carte kurde contre la Turquie. En effet, le président syrien va laisser une certaine liberté aux kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD) en autorisant le retour de ses responsables en Syrie, et leur laissant ainsi la possibilité de se constituer une zone au nord du pays. La Turquie a pour ambition d’asseoir son pouvoir régional et le gouvernement de Damas en est, en quelques sortes, un frein. Dans le même temps, l’afflux de réfugiés syriens sur son sol va motiver la Turquie à s’engager contre Bachar al-Assad. Dès lors, cet engagement va se concrétiser, d’une part, par une prise de contact plus accrue avec l’opposition anti-Assad [2] (Front islamique, Armée syrienne libre, etc), et d’autre part, par la volonté de s’engager dans un islam politique par le biais des Frères musulmans, à l’aide de financements, et de la formation des combattants et responsables militaires. La Turquie va également jouer un rôle majeur de plateforme en lien avec certaines puissances régionales, comme les pays du Golfe, ou encore avec les occidentaux, qui vont soutenir une partie de l’opposition, notamment par l’envoi d’armes. Le pays va ainsi très souvent servir de zone de transit (armement, financements, ressources énergétiques) [3]. En faisant cela, il veut s’inscrire dans une stratégie qui consiste à renforcer son pouvoir politique sur la scène régionale et internationale.
Le 29 mai 2015, le quotidien turc Cumhuriyet a lâché une bombe médiatique [4]. En effet, il a rapporté dans un article que des roquettes, des munitions et des obus de mortier auraient été cachés dans des camions humanitaires traversant la frontière turque vers la Syrie. Cela signifierait donc que les services secrets turcs armeraient secrètement des groupes djihadistes syriens. Erdogan soutiendrait alors ces terroristes, dans l’espoir dissimulé de se protéger d’une autre menace, plus importante encore pour lui, les kurdes. Lorsqu’en janvier 2015, des groupes armés kurdes reprennent à l’Etat islamique (EI) la ville de Kobané, cela a été une véritable démonstration de force à quelques kilomètres seulement de la frontière turque.
Les kurdes du nord de la Syrie considérés comme la principale menace pour le régime turc
L’Etat turc a vu l’évolution de la situation des kurdes en Syrie comme une menace. La plus grande crainte d’Erdogan serait de voir cette minorité prendre la tête d’un Etat kurde indépendant à cheval entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran. En juillet 2015, la coalition internationale a offert à la Turquie une opportunité inespérée. En effet, poussé par les occidentaux, Erdogan a décidé d’entrer en guerre contre l’Etat islamique. Cependant, au lieu de frapper uniquement Daesh, il en a profité au passage pour bombarder son ennemi kurde.
La position turque vis-à-vis de l’EI a bien souvent été commentée. Effectivement, la Turquie a été utilisée comme une base de repli pour l’EI qui a pu laisser certains trafics s’organiser, parmi lesquels, le trafic de matières premières, comme le pétrole, ou encore le trafic d’armes mentionné plus haut. En réalité, le flou subsiste quant aux destinataires de ces armes. Étaient-elles véritablement destinées à l’Etat islamique, ou plutôt à des groupes rebelles ? La Turquie a deux ennemis communs avec l’organisation terroriste : le premier est Bachar al-Assad, et le second, les kurdes. De plus, Ankara a facilité le passage de combattants djihadistes en provenance d’Europe. En faisant cela, elle a agi comme une sorte d’autoroute sans péages, où de nombreux partisans de Daesh ont pu rejoindre, entre 2013 et 2015, l’organisation basée en Syrie, en passant les frontières turques. En réalité, la Turquie a surtout été complaisante vis-à-vis de l’Etat islamique, au moment où sa préoccupation majeure était les kurdes. En avril 2018, 6 400 soldats turcs [5] étaient engagés en Syrie.
Sources :
[1] https://www.youtube.com/watch?v=crFv2bVGOV8
[2] https://apnews.com/97e2ec0b591c4a43a319ff2fd895dc4e
[3] http://www.slate.fr/story/93195/turquie-ei
[5] https://www.presstv.com/DetailFr/2018/01/25/550163/Afrin-16-soldats-turcs-capturs-par-les-YPG