Péninsule arabiqueProche et Moyen-Orient

Yémen du Sud, l’autre guerre civile ?

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Drapeau du Mouvement du Sud, groupe indépendantiste sudiste du Yémen

Alors que la bataille pour la ville d’Al Hodeidah, disputée entre loyalistes du gouvernement Hadi et milice Houthis retient l’attention internationale pour les risques de famine qu’elle entraine, un autre conflit latent a lieu dans le sud du Yémen.

Yémen du Nord et du Sud

Les XIX et XXème siècles marquent la formation des identités yéménites modernes. Alors que les Ottomans entament une administration directe du Vilayet-e Yemen (ouest du Yémen actuel et côte sud-ouest saoudienne), l’Imam Yahya et ses troupes zaydites (branches du chiisme), entrent en guerre d’insurrection contre la Porte à la fin du XIXème siècle. Cette période est parfois considérée comme une entreprise coloniale et une guerre de décolonisation. Durant la Première Guerre mondiale, ottomans et britanniques s’opposent au Yémen (comme dans toute la péninsule arabique), et en 1918 est créé le Royaume du Yémen, sous la dynastie de l’Imam Yahya. Les territoires d’Asir et Najran sont perdus au profit de l’Arabie Saoudite en 1934. Ce royaume du Yémen correspond au « Yémen du Nord ». Durant le XIXème siècle et jusqu’au milieu du XXème, les britanniques établissent des protectorats sur la côte sud de la péninsule arabique, avec comme point stratégique le port d’Aden. Ce protectorat d’Aden se divise ensuite en deux régions, la Fédération d’Arabie du Sud et le Protectorat d’Arabie du Sud, la première regroupant Aden et les territoires de l’ouest, le second incluant principalement la région d’Hadramaout .

En 1967, les britanniques se retirent de leurs protectorats, devenus un seul Etat (sous la pression à la fois britannique et des Nations Unies qui ne voulaient pas deux Etats séparés). La République Populaire du Yémen du Sud est proclamée le 30 novembre, dirigée par le Front de Libération National. Sa branche marxiste prend le pouvoir et fait du Yémen du Sud le premier et seul Etat arabe officiellement marxiste, rebaptisé en 1970, République Démocratique et Populaire du Yémen. Suite aux crises politiques et éruptions de violence, le « Yémen du Sud » se réunifie avec le « Yémen du Nord » en 1990.

Marginalisation croissante du sud

Le nouvel Etat, dirigé par le nordiste Ali Abdallah Saleh, devait être démocratique (le premier du monde arabe). Pourtant, très tôt, deux groupes sociaux sont mis à l’écart, les sudistes et les zaydites. L’inclusion du Yémen du Sud change la démographie du pays, où les sunnites prennent une majorité conséquente, au détriment des zaydites. Pourtant, l’ex Yémen du Nord représente les deux-tiers de la population, et le Sud est donc sous représenté d’un point de vue démographique. D’un point de vue politique, mais aussi économique, les deux groupes sont marginalisés par le clan Saleh, qui favorise l’implantation du salafisme et des Frères Musulmans.

Le Yémen réunifié a pris une décision politique catastrophique dès sa naissance : le choix de la neutralité dans la crise entre l’Irak et le Koweit. L’Arabie Saoudite a fait payer le prix fort au Yémen avec l’expulsion de tous les travailleurs yéménites présents dans le royaume. Dans un pays déjà pauvre, le chômage a explosé, les transferts de fonds ont chuté et le pays a sombré dans la crise économique. C’est dans cette situation chaotique que, dès 1994, certains groupes sudistes, déçus de l’Etat réunifié, entrent en lutte armée contre le régime de Sanaa. Le 21 mai 1994, le Sud proclame son indépendance sous le nom de République démocratique du Yémen, mais n’obtient pas de reconnaissance internationale. Dès juillet 1994, la victoire de l’armée du Nord semble évidente et les cadres sudistes tombent en exil. Le sud est encore plus marginalisé par la suite, les groupes appelant à la sécession se font d’autant plus influents.

Les sudistes dans la guerre aujourd’hui

Suite à la révolution arabe de 2011, le Sud pouvait espérer plus de liberté. En 2014, les affrontements éclatent à nouveau entre la milice Houthis et le gouvernement internationalement reconnu du président Hadi (héritier du gouvernement Saleh). Les Houthis poussent jusqu’à Aden mais ne peuvent prendre la ville ; ils tiennent néanmoins une grande partie du Yémen occidental, c’est à dire la région la plus riche et la plus peuplée. La contre-offensive des forces loyalistes a permis quelques victoires. Toutefois, les forces loyalistes sont une armée très hétéroclite, incluant des groupes proches des Frères Musulmans, d’autres proches des salafistes, certaines proches du clan Hadi, via des alliances politiques ou tribales, et des groupes sudistes. Une fois la menace houthie écartée, les gouverneurs locaux créent un conseil des provinces du sud, allié du gouvernement Hadi. Celui-ci limoge le gouverneur d’Aden, à l’origine de l’initiative. Un conflit politique, qui va jusqu’à une confrontation armée à Aden, en 2017, bloque la coalition loyaliste. Finalement, le Conseil de Transition du Sud (CTS) se forme bel et bien mais reconnaît l’autorité de Hadi.

L’autorité du gouvernement Hadi sur les territoires « libérés » reste fragile. Le CTS est par ailleurs officiesuement soutenu par les Emirats Arabes Unis. Ceux-ci préfèrent soutenir le camp sudiste qu’une coalition qui inclut des Frères Musulmans, plus grande crainte d’Abou Dabi. Les Emirats ont même stationné plusieurs soldats sur l’île de Socotra (alliée au sud), ce que le gouvernement Hadi a dénoncé. De leur côté, les Sudistes peuvent faire pression sur les forces loyalistes, comme elles l’ont fait en 2017, en refusant de participer à la guerre contre les Houthis si leurs revendications ne sont pas reconnues. La coalition internationale ayant besoin des Sudistes, soutenus par les Emirats qui obtiennent les meilleurs résultats sur le terrain, le CTS est donc en position de force.

De plus, le CTS semble aujourd’hui être une coalition forte. Contrairement au Yémen du Sud qui était largement centrée sur Aden, le CTS inclus les gouverneurs de Socotra et d’Hadramaout, plus éloignés, ce qui démontre la possibilité d’un véritable projet commun. Rappelons par ailleurs que c’est dans le désert d’Hadramaout que se trouvent de nombreuses bases de Daesh et d’Al Qaida au Yémen. Aujourd’hui, faire le pari du sud pour stabiliser une grande partie du sud de la péninsule arabique, peut sembler être une bonne option. Le gouvernement Hadi n’a finalement que peu de marge de manœuvre, hormis la légitimité que lui donne la coalition internationale. L’avenir du Yemen est plus que compromis et la menace d’un retour à une stabilité dans le pays pourrait aussi paradoxalement venir du Sud alors que tout l’attention est aujourd’hui principalement fixée sur l’affrontement entre les Houthis et la coalition arabe.

Bibliographie

BONNEFOY L., Yémen, de l’Arabie heureuse à la guerre

BOXBERGER L., Hadhrami Politics 1888-1967: Conflicts of Identity and Interest

DUPONT A., MAYEUR-AJOUEN C., VERDEIL C., Histoire du Moyen-Orient du XIXème siècle à nos jours

TETART F., La péninsule arabique, cœur géopolitique du Moyen-Orient

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