La démocratie avortée en Russie (1917)
Avec la Révolution de Février (mars selon le calendrier grégorien), les libéraux arrivent au pouvoir, remplaçant l’autocratie tsariste par le Gouvernement provisoire. Au bout de quelques mois, ce dernier s’effondre lors du coup d’État du 25 octobre 1917 (7 novembre) et laisse la place aux Bolcheviks. Poursuivant la guerre et retardant la réforme agraire, les modérés n’ont pas su tirer profit de leur position.
Un gouvernement impopulaire et concurrencé par le soviet de Petrograd
A l’abdication du tsar Nicolas II le 15 mars 1917, le pouvoir exécutif officiel est assumé par le Gouvernement provisoire issu des principaux partis de la Douma, excepté les conservateurs et présidé par le prince Lvov, un modéré. Or, ce gouvernement souffre de faiblesses congénitales. Tout d’abord, il subit la concurrence du soviet – assemblée – de Petrograd (aujourd’hui Saint-Pétersbourg) qui se veut le représentant des ouvriers et des soldats de Petrograd, capitale de la Russie. Ce dernier contrôle l’armée, les usines et les voies ferrées. Bien qu’initialement composé d’élus modérés (socialistes modérés pour l’essentiel), et donc soutien du Gouvernement provisoire, le soviet de Petrograd va peu à peu grignoter son pouvoir et sa légitimité. Il sape notamment l’autorité au sein de l’armée par l’électivité des postes d’officiers. Une fois Lénine de retour de son exil suisse, la position du soviet ne cesse de se radicaliser. La deuxième faiblesse du gouvernement tient justement à son manque de légitimité : chargé d’organiser les élections à une assemblée constituante, le Gouvernement provisoire rechigne à prendre des mesures de grande ampleur.
Si le Gouvernement provisoire prend certaines mesures politiques fondamentales dès sa création – dont la garanties des libertés civiles, politiques et religieuses ainsi que l’universalité du droit de vote – il commet deux erreurs majeures.
- La première tient à la poursuite de la guerre. Alors que le désastre humain (1,7 millions de morts et 5 millions de blessés en trois ans) et économique (les rationnements ont provoqué les premières émeutes de février 1917) lié à la Grande Guerre a conduit à la chute du régime tsariste et que le soviet de Petrograd a exigé la paix le 15 mars, le gouvernement poursuit l’effort militaire.
- La seconde a trait à la réticence du gouvernement à prendre des mesures importantes : il ne mène pas à bien la réforme agraire qui distribuerait aux paysans pauvres la terre qu’ils cultivent (ils travaillaient jusque-là pour la plupart sur de grandes propriétés) et se prive ainsi du soutien fondamental de la frange la plus importante de la population.
L’échec d’Alexandre Kerenski
Finalement, l’échec des libéraux à pérenniser leur régime se cristallise autour de la personne d’Alexandre Kerenski. Tribun hors-pair, député socialiste modéré à la Douma et ministre du Gouvernement provisoire, Kerenski est également vice-président du soviet de Petrograd. Très populaire, il favorise la cohabitation entre gouvernement et soviet, et use de sa popularité pour s’imposer au sein du gouvernement, prenant sa tête en juillet. A ce titre, il lance la grande offensive qui porte son nom mais qui se solde par un fiasco total. Toutefois, l’échec de Kerenski vient in fine de ses louvoiements politiques incessants entre gauche et droite. En juillet 1917, il parvient avec l’aide de l’armée à écraser une tentative de coup d’État bolchevik. En septembre, il se retourne contre l’armée et son commandant en chef, le général Kornilov, qu’il accuse de fomenter un coup d’État militaire. Pour vaincre l’armée, il doit faire appel aux Bolcheviks jusque-là emprisonnés et les armer. Ce revirement sera fatal à son gouvernement. Le 25 octobre, les Bolcheviks, devenus majoritaires au soviet et emmenés par Lénine et Trotski, s’emparent du pouvoir.
Le dernier avatar du régime libéral, l’assemblée constituante élue en novembre 1917, est dissoute dès sa première session par Lénine.