Il y a 35 ans mourrait Olof Palme. La fin d’une époque pour la social-démocratie occidentale…
Stockholm, angle de la rue Sveavägen et Tunnelgatan, 28 février 1986, 23h21. Les Suédois ne connaissent pas encore la nouvelle mais leur ministre d’État (premier ministre), le social-démocrate Olof Palme, vient d’être assassiné de deux coups de révolvers, alors qu’il rentrait chez lui en compagnie de sa femme. On ne retrouva jamais ni l’assassin, ni l’arme du crime. Les motifs de l’assassinat restent encore aujourd’hui flous.
Après moult péripéties judiciaires et 34 ans d’investigation -la plus longue et la plus retentissante affaire judiciaire de l’histoire de la Suède-, la justice suédoise rend son verdict en 2020. Le juge Crister Pettersson est convaincu de la culpabilité de Stig Engström, employé d’une société d’assurance hostile aux idées de Palme et décédé en 2000. Il accrédite ainsi la thèse d’un acte isolé. Il n’y aurait aucune trace d’un complot derrière cet acte. Mais qui était Olof Palme ? Et pourquoi son assassinat a-t-il engendré les histoires les plus invraisemblables et les complots les plus rocambolesques ?
« Le traître à sa classe », leader des ouvriers suédois
Olof Palme naît en 1927 dans une famille aisée et conservatrice. Son père est directeur de la société d’assurance Thulé. Trois évènements importants le font basculer dans le camp social-démocrate. Tout d’abord un débat sur la fiscalité, qui a lieu en Suède en 1947. Ensuite, ses études aux États-Unis en 1948, pays dont il remarque les profondes inégalités et la violence sociale à l’œuvre. Enfin, son voyage en Asie en 1953 dans le cadre du syndicalisme étudiant où il remarque les conséquences du colonialisme en Asie.
Son ascension est fulgurante : il adhère au parti social-démocrate suédois des travailleurs en 1949 en tant que syndicaliste étudiant et participe aux réunions de l’UIE (Union Internationale des Étudiants) à Prague. En 1953, il devient secrétaire personnel du ministre d’État Tage Erlander, auquel il succède 16 ans plus tard, en 1969. Son ascension pour parvenir au sommet de l’État est classique. Parlementaire dès 1957, il devient membre du cabinet (ministre) en 1963 et se fait remarquer par des réformes audacieuses dans les domaines de l’éducation et des cultes dont il prend le portefeuille en 1967. On le nomme en 1968 président du parti social-démocrate, qui totalise alors 50,1% des voies, un de ses plus hauts scores jamais atteint. Après une courte période dans l’opposition entre 1976 et 1982, le peuple suédois le réélit et il reste ministre d’État jusqu’à son assassinat le 28 février 1986.
La politique internationale d’Olof Palme
Les rares personnes qui connaissent aujourd’hui l’œuvre d’Olof Palme, connaissent avant tout sa politique internationale. Dès 1965, Olof Palme s’était en effet vigoureusement opposé à l’action des États-Unis au Vietnam et il avait pris la tête d’une manifestation Anti-Vietnam en 1968. Plusieurs fois, au début des années 1970, les relations diplomatiques entre la Suède et les États-Unis se sont rafraichies. Il n’était pas davantage complaisant avec l’URSS. Il dénonça l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 ou encore celle de l’Afghanistan en 1979. Pêle-mêle, il dénonça avec le soutien de l’Assemblée générale de l’ONU, l’Apartheid en Afrique du Sud, le régime de Pinochet, les intérêts néocolonialistes.
Mais son ambition internationale pour la neutralité de la Suède dépassait la simple dénonciation. Il est évidemment le premier dirigeant occidental à reconnaître le Nord-Vietnam dès 1969. Il participa du rapprochement entre l’Est et l’Ouest et joua sa part dans l’Ostpolitik de son ami Willy Brandt. Olof Palme est le premier dirigeant occidental à reconnaître la RDA en 1972. Aussi, il contribue à la normalisation des relations entre la RFA et la Yougoslavie cette même année. Médiateur, il le fut aussi, par exemple dans le conflit Iran-Irak en 1981. Sa proposition la plus audacieuse est celle d’un désarmement nucléaire total de l’Europe du Nord et de l’Europe centrale dans le contexte de la crise des euromissiles, avec l’appui du dirigeant de la RDA Erich Honecker.
Un social-démocrate à sa grande époque
De fait, Olof Palme participait pleinement de la politique extérieure de l’Internationale socialiste. Longtemps accusée d’être à la solde des États-Unis, notamment dans sa politique au Moyen-Orient, la politique de l’internationale socialiste fait au milieu des années 1960 (et surtout post-1968) un virage à 180. Les partis socialistes occidentaux s’allient en effet avec les mouvements armés de libération nationale du tiers-monde et les États souverains nés du combat anti-impérialiste. Avec ses amis Bruno Kreisky en Autriche ou Kalevi Sorsa en Finlande, il apporte son soutien à l’OLP de Yasser Arafat.
De fait, cette position peut se comprendre car la social-démocratie européenne était alors pour des raisons morales, politiques et économiques à la recherche d’une troisième voie qui ne passerait ni par le parapluie nucléaire américain, ni par une satellisation progressive à l’Union soviétique. Ces dirigeants honnissent l’antisoviétisme au nom d’une neutralité de leur pays dans le jeu des Blocs. Ce qui ne signifie pas complaisance. Ils rappellent que la tradition humaniste européenne s’est forgée à Londres, Bruxelles et Paris mais également à Varsovie, Prague et Budapest. Mais il ne faut pas oublier que les milieux d’affaire suédois tout comme les militaires demeuraient profondément occidentaux…
Une politique économique qui dépasse le bien-être pour le « mieux-être »
Profondément, Palme était socialiste réformiste. Pour lui, la solution aux problèmes économiques passait par l’extension du secteur public, par la toute-puissance de l’État. Il permet en 1973 au Fond national de retraite complémentaire d’acquérir des actions d’entreprises cotées en bourse, système qui se généralise avec la création des « fonds salariaux » en 1983. Ses remèdes face aux crises ne diffèrent que peu de ceux que la social-démocratie suédoise utilise depuis 1932 où elle a mis en place un système drastique de redistribution. Pour autant, l’économie suédoise est très dépendante de ses exportations (pâte à papier et aciers spéciaux notamment). Olof Palme cherche à développer des partenariats de libre-échange avec ses voisins. Mais en refusant toutefois de rentrer dans la CEE, trop ancrée à l’Ouest.
Mais Olof Palme relance l’utopie : démocratisation industrielle (qui donne le droit par exemple à un ouvrier d’arrêter une machine qu’il juge dangereuse sans sanction ou davantage de place aux délégués syndicaux dans les décisions de l’entreprise), égalité (par exemple les cours du soir gratuits dits d’éducation populaire), socialisme à hauteur d’homme. Fort taux de criminalités et grèves importantes sous le mandat de Palme consacre cependant l’expression encore utilisée de « malaise suédois ».
Il fut le tout-premier à comprendre la nécessaire prise en compte des problèmes écologiques et énergétiques par la social-démocratie. En 1972, il ouvre la première conférence des Nations-Unies sur l’environnement. A cette occasion, il est le premier à utiliser dans un discours public le terme d’écocide, en référence à l’utilisation de l’agent orange par les États-Unis au Vietnam. En 1980, il pousse à un referendum sur le nucléaire en Suède après l’accident de Three Mile Island aux États-Unis. Il créé, lors de son second mandat, un ministère dédié aux questions environnementales. La social-démocratie est pourtant, encore à cette époque, celle du « tout béton ».
Un dirigeant salué dans le monde entier
Olof Palme était un idéaliste. Il souhaitait la paix dans le monde, l’égalité, le plein-emploi, une vie culturelle enrichie pour tous. Le développement économique et technologique devait accompagner ces valeurs sociales. La Suède était au début des années 1980 la troisième industrie robotique du monde. Mais son expertise économique, sa connaissance de la politique et du militantisme l’ont poussé à tout faire pour réaliser son idéal, avec pragmatisme mais sans compromis.
Concrètement, son action internationale fut peu couronnée de succès. On salua néanmoins à sa mort le pacifiste, l’influenceur de la politique étrangère, l’initiateur occidental du rapprochement entre les Blocs. Autant de combats internationaux qu’il a contribué à médiatiser, en montrant à chaque fois qu’une autre réponse, sociale-démocrate, était possible. Si les hommages sont unanimes quoique différentiés (en RDA, on honora Olof Palme comme un grand homme d’État, quand la presse tchécoslovaque fut plus discrète (car il avait qualifié Husák de « créature de la dictature »), on comprend aisément que son action et ses prises de parole ont déplu à un certain nombre d’acteurs à l’intérieur et à l’extérieur de son pays…
La fin d’une époque
Au cours de son second mandat, Olof Palme favorisa davantage les entreprises privées. Il chercha avant tout à diminuer le déficit budgétaire de l’État suédois. Il opéra le retour au plein-emploi en faisant des compromis sur le pouvoir d’achat. La social-démocratie crût en la libération des mouvements de capitaux pour permettre aux sociétés d’atteindre une plus grande prospérité. Entre 1990 et 2000, 12 des 15 pays de la Communauté européenne sont socialistes. Profiter de la mondialisation pour développer la consommation des ménages et les équiper, tel était le grand projet du New Labour de Tony Blair. Celui-ci fit des petits dans toute l’Europe. Et déjà Palme était loin, très loin…