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Al-Qaïda : retour sur 30 ans de djihadisme transnational (2/2)

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Dans un article précédent, nous avons étudié le contexte de la guerre d’Afghanistan qui avait nourri l’idéologie combattante de l’organisation de ben Laden. Celle-ci avait débouché sur la constitution d’une véritable plaque tournante du djihadisme international au Moyen-Orient jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001, point culminant de l’influence d’Al-Qaïda dans le terrorisme mondial.

Ayman al-Zawahiri (gauche) et ABou Bakr al-Baghdadi (droite) dirigent respectivement Al Qaïda et l'Organisation de l'Etat Islamique, deux organisations concurrentes depuis 2013
Ayman al-Zawahiri (gauche) et Abou Bakr al-Baghdadi (droite) dirigent respectivement Al-Qaïda et l’Organisation de l’État islamique, deux mouvances concurrentes depuis 2013

L’après 11 septembre et la montée d’un djihad concurrent, aux ambitions non plus transnationales mais territoriales

L’invasion américaine en Irak en 2003 va considérablement affaiblir Al-Qaïda et forcer ses principaux leaders à vivre cachés ou en cavale. Mais au cours de la décennie, si l’ampleur des actions du mouvement dans les cœurs afghan et irakien est réduite, sa légitimité s’accroît auprès des populations d’Afrique du Nord et dans la péninsule arabique, les filiales d’Al-Qaïda dans ces régions ayant réussi à translater l’idéologie djihadiste combattante à la prise de participation dans les conflits locaux.

La stratégie d’expansion d’Al-Qaïda montre ses limites au début des années 2010.

En effet, celle-ci s’essouffle lorsque la dimension internationaliste du djihad formulé par ben Laden ne parvient pas à éviter l’enlisement dans les conflits locaux, notamment au Yémen et au Nigeria. Surtout, Al-Qaïda ne parvient pas à garantir la protection des populations sunnites du Moyen-Orient. C’est notamment le cas en Syrie et plus particulièrement en Irak, où les Américains ont installé en 2003 un gouvernement chiite particulièrement violent à l’égard des populations sunnites après le départ des troupes américaines en 2011. A la fin de l’année 2013, la branche d’Al-Qaïda en Irak affirme son indépendance et prétend pouvoir réaliser ce qui ne restait qu’utopie pour les mouvements djihadistes qui l’avaient précédée : la mutation d’une organisation terroriste en un véritable territoire administré.

Cette scission, qui sera actée avec l’auto-proclamation du califat à l’été 2014 par le leader de l’Etat islamique (EI) Abou Bakr al-Baghdadi porte atteinte à la légitimité d’Al-Qaïda qui voit alors ses effectifs fondre au profit de l’EI (Boko Haram au Nigeria, Jemaah Islamiyah et Abou Sayyaf en Asie du Sud-Est ont rapidement prêté allégeance à Daech). Se présentant comme le défenseur du sunnisme arabe, Daech trouve en Irak et en Syrie, au moyen d’une communication très intelligemment articulée, un écho beaucoup plus important que l’anti-occidentalisme et la visée internationaliste d’Al-Qaïda. D’autant plus qu’à la revendication territoriale au Moyen-Orient se superpose pour l’EI l’ambition de proclamer le califat dans d’autres régions du monde (notamment la Libye qui fait office de cible privilégiée en raison de sa position stratégique et de l’abondance de ses ressources), empruntant ainsi la dimension « multinationale » d’Al-Qaïda.

Aujourd’hui dirigée par Ayman al-Zawahiri, Al-Qaïda peine donc à s’assurer une légitimité au sein du terrorisme international. Les actions menées récemment en Afrique par AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique) sonnent en ce sens comme des réponses directes aux actions d’envergure menées depuis un an et demi par l’EI qui cherche à entériner sa présence sur le continent africain. Au-delà des actions terroristes, c’est par la modernisation de sa communication qu’Al-Qaïda entend enrayer le « succès » Daech : la revue de propagande Inspire lancée en 2010 par AQPA (Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique) et qui a largement inspiré son alter ego dans l’EI (Dabiq), était 10 fois plus lue en 2013 qu’en 2010 grâce à l’élargissement de ses canaux de distribution; la revue est désormais traduite en anglais et en français.

Le regain de légitimité d’Al-Qaïda pourrait en réalité provenir, à terme, de ses ennemis. En premier lieu parce que le projet de l’EI se nourrit de l’instabilité de la région tout en prétendant viser la stabilisation de la situation et la constitution d’un État aux frontières arrêtées. Mais Daech ne parvient pas à s’extraire d’une politique guerrière, au détriment de populations civiles asservies et décimées par les arrestations et exécutions en cascade de prétendus traîtres ou infidèles. L’EI s’arc-boute en effet (à la différence d’Al-Qaïda) sur le clivage sunnites/chiites dans des pays ethniquement très hétérogènes et dans lesquels une telle dichotomie ne peut en aucun cas être créatrice de stabilité. D’autant que les populations sunnites ne sont pas toujours épargnées par les troupes de Daech, aujourd’hui truffées de combattants étrangers dont l’absence – souvent constatée –  de culture religieuse contribue à l’hermétisme de la frontière entre le projet des dirigeants de l’EI et celui de ses combattants.

De plus, à l’aune du retour en force de l’Iran dans la région, Al-Qaïda pourrait trouver dans le régime chiite un allié de circonstance. Fondée par deux chantres du sunnisme, Al-Qaïda est idéologiquement aux antipodes du chiisme iranien, l’Iran la considérant en outre à ses débuts comme un agitateur dangereux de l’Afghanistan et de l’Irak. Mais la fracture entre Ben Laden et l’Arabie saoudite dans les années 1990, puis la disparition progressive des discours vindicatifs à l’égard du chiisme vont tempérer les relations entre l’Iran et Al-Qaïda. Au cours de l’année 2015, l’Iran aurait même libéré cinq anciens membres haut placés d’Al-Qaïda. A quel dessein ? Difficile de le savoir, mais alors que l’EI s’emploie à décimer les chiites civils irakiens, que la présence du Hezbollah et des Pasdaran en Syrie s’essouffle et que l’allié russe tarde à vouloir s’impliquer au sol, Téhéran pourrait faire appel à d’autres appuis présents depuis des années dans la région ; des appuis qui connaissent bien (et pour cause !) les troupes ennemies de Daech, de leur organisation à leurs modes d’action.

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