Les frontières sud-américaines
Le principe d’intangibilité des frontières trouve certainement son idéal sur le continent sud-américain. En effet, malgré quelques oppositions frontales, les pays ont gardé les mêmes superficies depuis de nombreuses décennies, comme nulle part ailleurs dans le monde contemporain.
Définir des frontières sur des étendues très vastes et peu peuplées peut se faire via des grands conventions internationales (Conférence de Berlin pour l’Afrique) mais également très simplement, comme ce fut le cas en Amérique du Sud. La topographie a facilité la délimitation des frontières, notamment dans toute la partie andine. Côté brésilien, le concept de « frontières vivantes », ie faire vivre des frontières par la présence humaine, est fondateur. Cependant, la richesse du sous-sol a égayé, comme sur d’autres continents, les appétits. La richesse minière de l’Atacama déclencha une guerre tripartite entre Chili, Pérou et Bolivie, cette dernière perdant accès à la mer à la fin du XIXe siècle. La Bolivie n’a jamais accepté cet état de fait, et il n’est pas rare de voir des entrainements de la Marine bolivienne dans le lac Titicaca. Même chose, un demi-siècle plus tard entre Paraguay et Bolivie, pour du pétrole cette fois (deuxième Guerre du Chaco). D’autres conflits ont pu prendre place, mais de portée limitée, comme lors de la première Guerre du Chaco vers 1870 entre Brésil, Argentine et Uruguay.
Depuis cette phase que d’autres continents ont connu à la même époque, dans une période dite de postindépendance, les conflits frontaliers sont devenus très faibles. Le seul exemple a opposé Chili et Argentine au sujet du Canal de Beagle dans les années 1970. Ce territoire, situé dans la Terre de Feu, fut l’objet d’un différend territorial porté devant une Cour britannique, puis d’un conflit une fois l’arbitrage rendu en faveur du Chili. Il a fallu une médiation papale, unique en son genre, ainsi que la défaite argentine lors de la Guerre des Malouines pour que ce territoire appartienne officiellement au Chili.
C’est ainsi que les frontières sud-américaines sont parmi les plus ouvertes au monde. Elles ont rapproché les pays, notamment économiquement, par exemple dans le cas du Mercosur. Les coopérations transfrontalières aboutissent parfois à la création de « corridors biocéaniques », traversant le continent de toutes parts (routes, voies ferrées). La triple frontière entre Brésil, Argentine et Paraguay, dans la région des chutes d’Iguaçu, est ainsi devenue une zone franche régionale, et l’un des plus grands barrages hydroélectriques du monde y a été développé dans les années 1980. Cette ouverture est aussi favorable à des activités illégales, avec le cas maintes fois évoqué du trafic de drogue. La frontière entre la Colombie et le Venezuela est ainsi très poreuse et a facilité le développement des FARC durant les années 1990 et 2000. Ces nombreuses zones de non-droit, refuge parfait pour les producteurs et contrebandiers de drogue, fait l’objet d’attentions de la part des Etats-Unis, qui ont développé des bases militaires, notamment à la frontière entre la Colombie et le Venezuela.
Ainsi, l’ouverture des frontières sud-américaines va bien au-delà du seul Mercosur. Néanmoins, elle apparait bien plus tangible pour les marchandises et les capitaux que pour les hommes.