Terrorisme contemporain : une brève histoire (1/2)
Alors que le terrorisme occupe aujourd’hui les agendas politiques et monopolise l’attention médiatique, quelle est la réalité de ce phénomène mouvant ? La société de communication semble contribuer pour beaucoup au retentissement des attaques récentes et à leur impact sur les États et les populations qui y font face. Cet article se propose de traiter en deux temps l’histoire et la nature du terrorisme (I) puis sa relation particulière aux médias (II).
La difficile définition du terrorisme
Alors même qu’il est un phénomène structurant des relations internationales et des agendas politiques nationaux et suscite une immense attention médiatique, aucune définition consensuelle du terrorisme n’existe. Le terrorisme est un concept en constante mutation ainsi qu’un phénomène s’adaptant aux sociétés dans lesquelles il évolue, ce qui rend sa définition complexe. Il a pour racine la notion de « terreur » qui désigne l’épisode révolutionnaire proclamé par la Convention nationale, le 30 août 1793. Après leur mort, Robespierre et ses alliés ont ainsi été qualifiés de « terroristes ». Le « terrorisme » est donc d’abord un « terrorisme d’État », celui de la France post-révolutionnaire. L’appréhension du terrorisme comme « frappe aveugle » envers des victimes innocentes n’émerge qu’après 1945[1], date à laquelle la notion commence a susciter des débats.
Le terrorisme est un phénomène subjectif, empreint de jugements de valeur, d’une connotation négative, voire diabolisante. « Le terrorisme est supposé nommer le Mal absolu, sous sa forme contemporaine. »[2] Force est de constater que la définition du terrorisme relève ainsi d’une décision politique et subjective dont l’adage « le terroriste de l’un est le combattant de la liberté de l’autre » offre un parfait exemple. Les actions de la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale, les attentats de la guerre d’Algérie (1954-1962) ou encore la guerre entre Israéliens et Palestiniens ont pu être, tour à tour, qualifiés de formes de résistance comme d’actes de terrorisme. Définir le terrorisme est donc une question de jugement politique sujette à changement, en atteste le cas des Moudjahidin, appuyés un temps par les États-Unis contre l’invasion soviétique en Afghanistan puis labellisés comme « terroristes ». En bref, « si on est terroriste, c’est presque toujours aux yeux de l’autre »[3]. Adopter une définition commune du terrorisme reviendrait à prendre partie pour un camp plutôt que pour un autre. Didier Bigo va jusqu’à écrire que: « Le terrorisme n’existe pas ! »[4] Pour lui, il est impossible de recouper sous le même terme des logiques complètement différentes. Finalement le terrorisme a bien une dimension psychologique : celle de diffuser la terreur dans la société. Selon Raymond Aron, « une action violente est dénommée terroriste lorsque ses effets psychologiques sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques»[5].
Le besoin d’une définition commune, ou tout du moins acceptée n’en demeure pas moins une nécessité première dans la lutte contre le terrorisme. En réalité, le terrorisme est d’abord une méthode de combat qui permet à un acteur de viser des objectifs politiques. Nous retiendrons donc la définition de Jacques Baud: « le terrorisme n’est ni une idéologie, ni une fatalité. C’est une méthode de combat. Une méthode que l’on peut réprouver et dont la légitimité se trouve davantage dans les objectifs politiques que dans les objectifs opérationnels. Nous ne jugerons pas ici le bien-fondé et la légitimité des causes qui font appel au terrorisme (…) Le terroriste est tantôt un simple criminel, un résistant ou un combattant de la liberté. »[6]
S’intéresser à la définition du terrorisme implique aussi de s’intéresser à son rapport avec les médias. Les médias et le terrorisme constitueraient un couple qui entretiendrait une relation « perverse »[7] Qu’en est-il réellement ? Si le terrorisme aujourd’hui est devenu un phénomène médiatique planétaire, il n’en a pas toujours été ainsi au cours des siècles.
Un bref historique du terrorisme
Le terrorisme n’est pas un phénomène nouveau et les premières traces d’actes de violence pouvant correspondre aux définitions précédemment évoquées remontent au Sicaires : des dissidents juifs extrémistes qui cherchèrent, par des vagues d’assassinats au couteau et en place publique, à expulser les Romains de Judée au Ier siècle après Jésus Christ.
Dans une période plus contemporaine, qui débute à la fin du XIXème siècle, plusieurs vagues de terrorisme peuvent être mises en exergue. Bien que leur nombre soit sujet à débat entre chercheurs, ces « vagues de terrorisme » partagent une certaine homogénéité. Elles caractérisent ainsi des périodes où les acteurs du terrorisme otn disposé de fondations idéologiques et de tactiques de violence relativement communes. En se basant sur l’étude référence de David Rapoport, The Four Waves of Modern Terrorism, il est possible de distinguer quatre vagues principales. La première, celle du terrorisme anarchiste et révolutionnaire, des années 1880 aux années 1910, est marquée par la prédominance de l’idéologie révolutionnaire et la pratique d’attentats ciblés contre des responsables politiques. La seconde, anticoloniale et ethno-nationaliste, de la fin de la Première Guerre mondiale aux années 1960, est portée par les mouvements indépendantistes et des tactiques de guérillas et d’attaques systématiques des forces de sécurité. La troisième ou « New Left Wave », de la fin des années 1960 aux années 1990, combine des actions au niveau international et le rejet de l’idéologie du bloc de l’Ouest. Quant à la quatrième vague, religieuse ou identitaire, elle est née à la fin des années 1970 et perdure encore aujourd’hui en se basant sur une lecture politique et radicale de l’Islam. Ce nouveau terrorisme théorise et légitime le devoir de chaque musulman de faire son djihad afin de défendre l’Islam contre la domination occidentale et de participer à la création d’États islamiques dans le monde. L’action violente est légitimée et la mort, un moyen de devenir un martyr. Aujourd’hui, le terrorisme désigne majoritairement des groupes tels que l’État islamique ou Daesh et AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique), qui reposent sur une interprétation fondamentaliste du Coran.
Cette dernière vague se caractérise par plusieurs nouveautés qui la rendent un peu plus difficile à appréhender. Alors que la mondialisation et les importantes avancées technologiques ont profondément modifié les moyens ainsi que le rayon d’activité des groupes terroristes ; la communication est devenue, plus que jamais auparavant, un outil essentiel de leur action. Déjà présentes au sein de la troisième vague, ces tendances n’ont eu de cesse de se renforcer. Si, comme le souligne Bernard Manin, les terroristes ont toujours utilisé « la publicité pour compenser quelque peu leur asymétrie en amplifiant les dommages réellement infligés [et promouvoir] le culte des héros et des martyrs, pour renforcer le soutien à leurs actions »[8], cette situation a aujourd’hui pris une ampleur inédite.
Dans des sociétés occidentales de communication de masse, caractérisées par des flux instantanés et croissants d’informations, la stratégie médiatique des terroristes du XXIème siècle est un enjeu essentiel. L’une des forces des groupes terroristes contemporains est d’avoir compris l’influence des médias et l’usage stratégique qu’il est possible d’en faire pour lutter contre nos sociétés en utilisant leurs propres armes.
Article co-écrit par Raphaëlle MABRU et Simon ROUSSEAU
[1] WALZER Michael, Guerres justes et injustes, Paris, 1999, P 275.
[2] NEYRAT, Frédéric, Le Terrorisme, un concept piégé, Paris, Ed èRe, 2011, p.11.
[3] WIEWORKA Michel, Sociétés et terrorisme, Fayard, 1990, p.15
[4] BIGO Didier, « L’impossible cartographie du terrorisme », Cultures & Conflits.
[5] ARON Raymond, Paix et guerre entre les nations, Calmann-Lévy, 1962, pp.140.
[6] BAUD Jacques, Encyclopédie des terrorismes et violences politiques, Lavauzelle, 2004, pp.613-635.
[7] CHALIAND, Gérard, Les stratégies du terrorisme, Paris, Desclée de Brouwer, 1999, p.229
[8] Bernard Manin, The emergency paradigm and the new terrorism. What if the end of terrorism was not in sight, EHESS