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La directive « copyright » : nouvelle arme de la Commission contre les GAFA

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La directive rejetée en juillet dernier [1] a finalement été adoptée le 12 septembre 2018, alors que le texte faisait l’objet, depuis plusieurs mois, d’une bataille à couteaux tirés entre d’un côté, les lobbys des entreprises de la Silicon Valley (contre) et de l’autre, ceux de la presse et du monde artistique (pour l’adoption du texte). Cette directive constitue la dernière offensive en date menée par la Commission à l’encontre des GAFA [2]. Elle s’inscrit plus largement dans la guerre digitale opposant une Union européenne distancée à la toute-puissance numérique américaine.

La directive « copyright », la dernière offensive en date de la Commission européenne à l’encontre des GAFA.

Les enjeux de la directive « copyright »

Ce nouveau texte vise à remplacer la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins datant de 2001 et ainsi à moderniser et harmoniser les législations des Etats membres de l’UE tout en contribuant à la création d’un marché unique numérique. Cette nouvelle initiative européenne a également comme objectif non dissimulé et même revendiqué par la Commission de réduire le « fossé de valeur » entre les immenses profits réalisés par les plateformes numériques, hébergeurs de contenus et ceux, bien plus modestes, perçus par les ayants droit desdits contenus, pourtant titulaires des droits de propriété intellectuelle (principalement éditeurs de presse et sociétés de gestion collective). Deux articles de la directive proposée par la Commission ont ainsi polarisé l’ensemble des débats et furent à l’origine du rejet du texte par le Parlement européen, le 5 juillet dernier. Il s’agit en premier lieu de l’article 11 visant à créer un nouveau droit voisin [3] pour les éditeurs de publication de presse et qui impose aux plateformes numériques la rémunération des organismes de presse lorsque leurs contenus sont utilisés.

Le seconde disposition au centre des débats est l’article 13 qui prévoit d’obliger les plateformes numériques et autres hébergeurs à filtrer automatiquement les contenus mis en ligne, en employant des outils capables d’identifier et de bloquer les éléments contrefaisants avant même qu’ils ne soient visibles par les internautes. Une campagne de lobbying féroce s’est donc déroulée à Bruxelles durant laquelle les géants de l’Internet américains, hostiles à l’adoption de ces deux dispositions, se sont opposés aux lobbys de la presse et des sociétés de gestion collective. Le Parlement a finalement tranché en faveur de ces derniers.

La Commission en croisade contre l’invasion des GAFA

Avec l’adoption de cette directive la Commission européenne continue son bras de fer engagé avec les GAFA depuis plusieurs années. Aux avant-postes côté européen, se trouve la Commissaire à la concurrence, madame Margrethe Vestager, qui déjà en 2016 sommait Apple de rembourser 13 milliards d’euros d’arriérés d’impôts à l’Irlande. Avant d’infliger à Google une première amende de 2,42 milliards d’euros pour abus de position dominante, puis une deuxième en juillet dernier d’un montant record de 4,34 milliards d’euros, n’écartant pas la possibilité d’un démantèlement forcé de l’entreprise en diverses filiales en Europe. Elle s’en était pris, entre temps, à Amazon, le sommant en octobre 2017 de rembourser au Luxembourg 250 millions d’euros d’ « avantages fiscaux indus » [4].

Facebook n’a pas non plus été épargné. Depuis l’entrée en vigueur du RGPD en mai dernier, le réseau social a dû se plier, à des standards européens élevés en matière de protection des données personnelles et son patron Mark Zuckerberg a même été poussé à présenter ses excuses devant le Parlement européen à la suite du scandale Cambridge Analytica [5]. Les amendes prononcées, les nouveaux textes contraignants passés et les contrôles opérés par la Commission sont autant de moyens permettant aussi bien de ralentir l’invasion digitale des géants américains du Web en Europe que de sanctionner les réels abus des GAFA. Ceci, afin de préserver un marché numérique unique encore balbutiant.

Une Europe sur la défensive et divisée

Si les décideurs politiques européens ont toutes les raisons de vouloir juguler l’invasion digitale américaine, protéger la vie privée de leurs citoyens et sanctionner l’évasion fiscale, ces derniers font rarement front commun sur ces différentes questions. La division régnant au sein de l’UE sur la position à adopter vis-à-vis des GAFA s’illustre notamment par les opinions divergentes que suscite la question de la taxation des géants du Web, l’Allemagne reculant dernièrement sur ce point alors que la France défendait ardemment le projet [6]. Le rejet de la proposition de la directive « copyright » le 5 juillet dernier en fait également la démonstration, les parlementaires européens ayant subis l’influence des lobbys américains de la Silicon Valley sur un texte très technique dont la plupart ne maîtrisait pas les subtilités.

Il reste que l’Europe a fait le choix d’une stratégie purement défensive en sanctionnant, contrôlant et légiférant afin d’une part, de défendre des principes sociétaux chers aux citoyens européens et souvent bafoués par les géants du Web et d’autre part, de juguler la puissance numérique américaine. Toutefois, si une telle stratégie peut apparaître comme satisfaisante sur le court terme, elle ne peut se suffire à elle-même et doit être combinée à une volonté politique d’armer l’économie européenne de champions de l’Internet comme a su le faire la Chine avec les Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi (les BATX), pendants chinois des GAFA et désormais en mesure de concurrencer les géants américains dans divers domaines [7]. Sans une politique offensive l’Europe se condamne à occuper un rôle passif opérant à tout le moins à des arbitrages à la marge, sans avoir de réelle emprise sur l’économie digitale mondiale. A l’heure de la révolution numérique, l’Europe se placerait alors dans une position critique similaire à celles des nations qui au siècle dernier étaient incapables de s’industrialiser.

Damien Sabathié

« Damien Sabathié est juriste PI en cabinet d’avocats à Munich. Diplômé d’un Master 2 en Droit européen et international de la propriété intellectuelle du Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI) et d’un Master 2 en Droit de l’internet et des systèmes d’information de l’université de Strasbourg, il est rédacteur occasionnel pour Les Yeux du Monde. Il a par ailleurs étudié en Hongrie (Budapest) et aux Pays-Bas (Maastricht) avant de s’installer depuis plusieurs années en Allemagne où il a également effectué un stage d’un an au sein de l’Office européen des brevets (OEB) en 2016. Il s’intéresse particulièrement aux enjeux géopolitiques entourant la PI et les technologies de l’information et de la communication (TIC)».

Sources :

[1] V. C. Ducourtieux, A. Piquard, M. Untersinger et N. Vulser, « Le Parlement européen écarte la directive controversée sur le droit d’auteur », Le Monde, le 5 juillet 2018.

[2] Acronyme faisant en Europe référence aux géants américains de l’internet : Google, Amazon, Facebook et Apple.

[3] Les droits voisins (au droit d’auteur) sont attribués à des personnes qui ne sont pas des créateurs, et ne peuvent donc bénéficier de la protection par le droit d’auteur.

[4] V. « La Commission européenne attaque sur tous les fronts les GAFA », Le Monde, le 24 avril 2018

[5] V. G. Poncet, « L’audition tendue de Mark Zuckerberg au Parlement européen », Le Point, le 23 mai 2018.

[6] V. sur ce point, D. Perrotte, P. Houede, « Taxation des GAFA : l’Allemagne sur le reculoir », Les Echos, le 5 septembre 2018.

[7] V. M. Aubinaud, « Après les GAFA américains, voici les BATX chinois », Les Echos, le 28 décembre 2017 ; v. également sur ce point, P. Fay, « Internet : les BAT chinois menacent l’hégémonie des Gafa », Les Echos, le 12 octobre 2016.

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