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Les Séfévides, la création du chiisme d’État

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La valse des empires musulmans (7/8). L’Empire séfévide est considéré comme l’ancêtre de l’Iran moderne. Son fondateur, Chah Ismael Ier est d’ailleurs encore aujourd’hui représenté comme le père de la nation moderne iranienne. Durant toute son existence (1501-1736), les Séfévides chiites doivent composer avec leurs puissants voisins sunnites.

L'Empire séfévide s'impose rapidement comme un concurrent sérieux pour l'Empire ottoman.
L’Empire perse des Séfévides (wikimédia).

A la mort de son fondateur Tamerlan en 1405, l’empire des Timourides tombe rapidement sous le contrôle des Turkmènes, peuple nomade d’Asie centrale. Différentes tribus, dont les Moutons blancs et les Moutons noirs se disputent alors l’Asie centrale.

C’est dans ce contexte que naît Ismael, membre des Safavieh, une tribu turque nomade. Les Safavieh sont influencés par les pensées du cheikh Safi al-Din, un soufi converti à une mouvance proche du chiisme au XIVe siècle. Ismael est propulsé à l’âge de sept ans comme chef héréditaire des Safavieh.

Une expansion rapide

Pour les Safavieh, le tournant opère au début du XVIe siècle. Le jeune Ismael, 15 ans, prend le pouvoir en 1501 dans l’actuel Azerbaïdjan. Il chasse du trône la dynastie turkmène des Moutons blancs et fait de Tabriz sa capitale. L’Empire séfévide est né. Le jeune roi est pressé et ambitieux.

En 1505, il se lance à la conquête de l’Est, dans la riche région du Khorassan et prend la ville d’Harat, dans l’actuel Afghanistan, la même année. Si de nombreuses tribus d’Asie centrale décident de le rallier, c’est notamment parce qu’Ismael propose une alternative solide aux Ottomans, alors vus comme des oppresseurs sunnites. De nombreux musulmans d’Asie centrale pratiquent alors un islam très mystifié et empreint de chamanisme.

L’expansion de l’Empire séfévide dessine peu à peu les frontières de l’Iran. Depuis l’invasion arabe au VIIe siècle et la chute des Sassanides, ce territoire était davantage vu comme une zone « carrefour » où les différents empires tentaient d’exercer leur influence que comme une entité à part entière. Pour la première fois, le territoire peut donc se considérer comme indépendant.

Le chiisme, élément unificateur

Le territoire conquis par les Séfévides est composé de cultures et de peuples très divers. Quand il prend le pouvoir, Ismaël a besoin d’un élément unificateur afin que tous les peuples se sentent appartenir à la même entité. Il choisit la religion en déclarant le chiisme religion d’État. Si le chiisme (ou des courants proches) est déjà bien installé, les sunnites sont encore nombreux, et cette conversion forcée se fait dans le sang.

Cette difficulté à unifier la population autour d’un même courant religieux est une des causes de l’extrême hiérarchisation dans le monde chiite. Ainsi, Ismaël et ses successeurs mettent en place un système strict où les mollah et les ayatollah tiennent une place primordiale en jouant le rôle de gardiens de la foi. Ismael meurt en 1524 et laisse le royaume à son fils de 10 ans, Tahmasp. Ce changement entraîne des troubles internes dans l’empire, liés aux problèmes de succession.

Voisins sunnites peu conciliants

En plus de devoir gérer ces problèmes internes, l’empire doit aussi composer avec ses voisins. Les Ottomans se montrent rapidement inquiets de la montée en puissance séfévide. Le sultan turc Selim Ier emploie les grands moyens et les défaits largement en 1514 à Tcharldiran. A l’est, les Ouzbeks profitent de la déstabilisation de l’empire pour s’emparer de la province du Khorassan et de la ville d’Harat.

Les années qui suivent, l’est de l’empire devient un champ de bataille entre Ouzbeks et Séfévides et change cinq fois de camp jusqu’à que Tahmasp, le fils d’Ismael, reprenne Harat en 1537. Dans la foulée, Tahmasp affronte l’Empire moghol à Kandahar.

A l’ouest néanmoins, les événements se compliquent. En effet, après voir fait la paix avec les Autrichiens en 1533, le sultan ottoman Soliman le Magnifique décide de se tourner vers l’est, et donc vers les Séfévides, pour agrandir son territoire. En l’espace d’une année, il occupe Bagdad, alors sous contrôle séfévide, et la capitale de l’Empire perse, Tabriz. Un an plus tard, Tahmasp contrôle de nouveaux ces territoires, à l’exception de Bagdad, qui reste sous contrôle ottoman. Les combats entre les deux empires se poursuivent jusqu’au traité de paix d’Amasya en 1555.

Les temps glorieux d’Abbas Ier

L’empire s’enlise ensuite dans des querelles internes. Il faut attendre l’arrivée de Chah Abbas Ier en 1588 pour qu’une nouvelle grandeur inédite ne soit atteinte.

Abbas Ier est un grand stratège. Tout en signant des traités défavorables avec les Ottomans, qui lui font perdre une partie de l’Azerbaïdjan, la Géorgie et l’Arménie, il réforme profondément son armée pour préparer la contre-attaque. Il confie des hauts postes de l’administration à des chrétiens et confie à deux catholiques, les frères Shirley, la charge d’instruire les troupes séfévides « à l’occidental ».

Ainsi, dès 1602, c’est une armée moderne et confiante qui s’attaque aux Ottomans. Les résultats ne se font pas attendre. En vingt ans, l’Empire séfévide s’étale sur plus de quatre millions de kilomètres carré, soit un million de plus qu’à l’époque d’Ismael Ier, le fondateur de l’empire.

Ispahan, nouvelle capitale

Après avoir pacifié son territoire, Abbas solidifie la légitimité de son empire. Il développe des échanges d’ambassades avec certaines monarchies européennes, il déplace la capitale à Ispahan (actuel Iran), fait prospérer le commerce avec les puissances voisines et encourage le développement de l’art et de la culture perse. Faisant preuve d’une grande tolérance religieuse, tant envers les zoroastriens que les juifs et les chrétiens, il s’attire la sympathie d’un nombre important de chancelleries occidentales, qui cherchent d’autres puissances dans la région pour contrecarrer l’Empire ottoman.

Il est également réputé pour sa paranoïa envers ses -potentiels- opposants. Ainsi, Chah Abbas Ier fait assassiner un de ses fils et fait aveugler les deux autres. Le culte de la personnalité dont il fait l’objet peut être symbolisé par son enterrement, en 1629, où une chaîne humaine de 500 km transporte le cercueil royal d’Ispahan jusqu’à Kachan, où il est enterré après 41 ans de règne.

Après Abbas, un long déclin

Après sa mort, l’empire ne retrouvera jamais une telle grandeur. Si ses deux successeurs Safi Ier et Abbas II tentent de maintenir un certain prestige, la dynastie des Séfévides ne tarde pas à se noyer dans des luttes internes. En plus de ces troubles politiques, la région est confrontée à des phénomènes naturels (séismes, sécheresses) dévastateurs.

Les derniers souverains au début des années 1700 aggravent le tout en persécutant des minorités, notamment les sunnites, et en les taxant très fortement. Ceci conduit à une révolte de tribus afghanes sunnites qui prennent Ispahan en 1722. Si quelques chah affaiblis arrivent à se maintenir, Nadir Chah se proclame roi en 1736 et introduit une nouvelle dynastie.

Ressources :

Geo, « Iran : deux rois pour un âge d’or à Ispahan », 2018.

https://www.geo.fr/histoire/iran-ispahan-deux-rois-pour-un-age-d-or-187949

Clio, « Les Séfévides, fondateurs de l’Iran moderne », 2003.
https://www.clio.fr/bibliotheque/les_sefevides_fondateurs_de_l_iran_moderne_1501_1736.asp

BBC, « Safavid empire », 2009.
http://www.bbc.co.uk/religion/religions/islam/history/safavidempire_1.shtml

Britannica.com, « Safavid dynasty ».
https://www.britannica.com/topic/Safavid-dynasty

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Pablo MENGUY

Ancien étudiant en école de journalisme, aujourd'hui en master à l'Institut français de Géopolitique (IFG).

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