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La mise en place d’un système de management de la sûreté : l’exemple du groupe Total

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Les évolutions législatives et l’aspiration de la société civile à plus de sûreté dans le cadre de l’activité professionnelle complexifient les missions des groupes français implantés à l’étranger et en particulier des groupes énergétiques. Il est d’emblée important de noter que sûreté et sécurité n’ont pas le même sens : la sécurité désigne la prévention face à des accidents involontaires (incendies, accidents chimiques, environnementaux) tandis que la sûreté vise à se prémunir d’actes prémédités visant à nuire à l’entreprise, à ses personnels, ses infrastructures, sa réputation. Les entreprises énergétiques, implantées dans de nombreuses « zones grises » sont des cibles de choix et incarnent une forte symbolique. Pour les groupes terroristes en particulier ou les mouvements séparatistes, la présence d’entreprises énergétiques étrangères, et de surcroit occidentales, incarne l’exploitation et la valorisation de leurs ressources au détriment des populations locales. De plus, les hydrocarbures ont une forte symbolique liée à l’histoire de l’Occident industriel et sont utilisés afin de toucher les valeurs et intérêts économiques occidentaux. Pour faire face aux nombreux risques sécuritaires, des entreprises, à l’exemple du groupe Total, choisirent de mettre en place des systèmes de management de la sûreté (SMS). Nous nous focaliserons ici sur la composante sûreté et non sécurité/HSE.

I / Les risques sécuritaires dans l’industrie pétro-gazière :

Le Groupe Total est présent dans plus de 130 pays dont certains présentant des risques sécuritaires d’atteintes aux assets majeurs. C’est le cas en Irak et notamment dans la région du Kurdistan, à proximité des mouvements de troupes de l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL), au Yémen, bastion d’Al Qaeda dans la Péninsule Arabique (AQPA) ou encore au Nigéria où récemment la secte Boko-Haram menaçait d’attaquer les infrastructures pétrolières. L’université de Zurich dans son Energy Infrastructure Attack Database (EIAD – ETH Zurich) montre que les infrastructures énergétiques sont une cible de choix pour les états en conflit, les groupes terroristes, les groupes d’activistes (environnement, redistribution des revenus pétroliers) et les contrebandiers (contrebande de pétrole). La carte présentée ci-dessus montre les différents risques sécuritaires auxquels peuvent faire face les compagnies énergétiques en Afrique. Si certaines attaques n’ont que des conséquences mineures, d’autres peuvent entrainer de graves atteintes environnementales (c’est notamment le cas dans le procès opposant la Royal Dutch Shell à des pêcheurs nigérians suite à des fuites d’oléoducs liées à des défauts de maintenance et/ou des sabotages), humaines dans le cas de prises d’otages comme en janvier 2013 sur le site gazier d’In Amenas dans le sud de l’Algérie, ou financières suite à l’arrêt des infrastructures. D’autres formes de risques sécuritaires comme les cyber-attaques, les usurpations d’identités dans les systèmes informatiques (identity theft et phishing), l’ « hacktivisme » ou simplement l’espionnage industriel mettent en danger le patrimoine informationnel de l’entreprise et de ce fait la pérennité de son activité économique.

II / Le système de management de la sûreté.

La mise en place de « directions sûreté » au sein des groupes français est une évolution récente principalement liée aux avancées de la jurisprudence en matière de droit de la sécurité au travail et de responsabilité des entreprises. En France, les jurisprudences Karachi (2004), Jolo (2006) et l’arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre 2011 impliquent désormais que les entreprises doivent s’informer, sensibiliser leurs collaborateurs et mettre en œuvre les moyens nécessaires afin de prémunir les assets de toutes atteintes sécuritaires (d’autres atteintes comme celles liées à l’hygiène relèvent des normes HSE).

Un système de management de la sûreté permet de communiquer sur l’engagement de l’entreprise quant à la réduction des risques qu’encourent ses collaborateurs (tant auprès des institutionnels que des investisseurs). De plus, en s’accordant avec les normes internationales ISO et en menant des audits sûreté, les entreprises, en plus de réduire les risques, peuvent démontrer aux juges que toutes les mesures furent mises en place pour protéger les assets en cas de litiges. Il permet de développer un outil global d’évaluation et de gestion des risques. La fonction d’évaluation permet également d’optimiser les coûts de sûreté en adaptant la réponse mise en place par l’entreprise à l’environnement sécuritaire d’un pays. Par exemple, la protection d’assets sur le gisement Yamal LNG (Russie, Sibérie) ne nécessitera pas les mêmes moyens que ceux d’un site dans le Delta du Niger. La gestion des risques permet, en cas d’attentats, prises d’otages, catastrophes naturelles de prendre dans les plus brefs délais, avec le maximum d’efficacité et dans un cadre légal, les mesures adéquates.

Concrètement, le SMS du Groupe Total s’articule autour du travail des coordinateurs sûreté des filiales du groupe. Ces derniers ont pour missions d’appliquer les directives (il en existe dix : sept pour la protection des personnes, deux pour la protection des infrastructures y compris offshore et une relative au patrimoine informationnel) et d’user du Manuel du management de la sûreté du groupe. La mise en place d’une base de données de documentations relatives aux normes à appliquer est un facteur clé de réussite et d’harmonisation des filiales à la politique de sûreté du groupe. Les coordinateurs sûreté sont également en charge de coordonner la communication avec les autorités locales (armées, police) et les équipes, de dresser une liste consolidée des personnel on board à savoir, l’ensemble des expatriés, des familles, des personnels locaux auxquels le groupe peut être amené à porter assistance. Les missions de veille, en collaboration avec les instances centrales situées à La Défense sont également une composante clé du SMS afin de pouvoir évaluer le risque sécuritaire d’un pays et d’y adapter des réponses (voir d’y restreindre l’accès aux collaborateurs). Enfin, les directions sûreté emploient des personnels issus de différents milieux ; internes à l’entreprise ou externes avec la présence de personnels issus du Ministère de la Défense, de l’Intérieur, d’anciens officiers de renseignement, apportant tous une expertise.

En conclusion, l’implémentation d’un système de management de la sécurité est aujourd’hui un atout majeur pour les entreprises afin de se prémunir, dans la mesure du possible, des risques et le cas échéant de justifier auprès des autorités de la bonne tenue des procédures et du respect des normes. L’actualité, attaques terroristes, prises d’otages, catastrophes naturelles, nous montre tout les jours à quel point ces dispositifs sont essentiels afin de protéger les hommes et les biens.

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