Security risk management dans les entreprises françaises : problématiques et opportunités
La sécurité des collaborateurs à l’étranger est aujourd’hui un enjeu majeur au sein des entreprises. Le 16 septembre 2010, à Arlit (Niger), un commando d’AQMI enlève cinq français, employés d’Areva et de Sogea-Satom, filiale du groupe Vinci. Quatre de ces otages passèrent trois années en captivité. Outre les pertes liées aux paiements de rançons et à l’emploi probable d’ESSD (entreprises de sécurité et de services à la défense) dans les négociations, les entreprises se virent assignées en justice en manquement de l’obligation de sûreté envers leurs employés. Cet épisode remit au goût du jour les problématiques liées aux jurisprudences Karachi et Julo en terme de sécurité des collaborateurs à l’étranger. Une autre question, polémique, est intimement liée à ces jurisprudences ; celle du développement des ESSD en France.
Le 8 mai 2002, onze français expatriés travaillant pour la Direction des Constructions Navales, sont victimes d’un attentat à la bombe dans la ville de Karachi (Pakistan). En 2003, les familles des victimes intentent une action en responsabilité à l’encontre de la DCN devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale (TASS) de la Manche en se fondant sur l’existence d’une faute de l’employeur. Il est reproché aux dirigeants de ne pas avoir pris en compte le risque sécuritaire pesant sur les employés alors que quelques mois auparavant, un journaliste américain avait été enlevé dans cette même ville et que quelques jours après un employé de la DCN s’était vu dérobé par la force des données confidentielles. Dans sa décision du 15 janvier 2004, le TASS retient un accident du travail engendré par une faute inexcusable de l’employeur qui n’avait pas pris les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité de ses employés. Cette obligation de sûreté de l’entreprise envers ses salariés découle de la jurisprudence relative aux cas d’amiante. La jurisprudence Jolo, renforce l’obligation de protection du salarié. Un tour opérateur et son assureur furent condamnés le 7 juin 2006 par le TGI de Paris à verser un million d’euros de dommages et intérêts aux ex-otages de l’île malaisienne de Jolo. Le tour opérateur a faillit à son obligation d’information à l’égard de ses clients, bien qu’étant conscient des risques sécuritaires dans la région. Les entreprises doivent donc fournir une information complète et loyale tant aux clients qu’aux salariés et ce en prenant en compte les risques sociaux, sanitaires, géopolitiques. Désormais, l’obligation de sécurité devient une obligation de résultat ; le simple fait de ne pas arriver à assurer la sécurité des employés sur un site engage la responsabilité de l’employeur.
Si il y a un domaine dans lequel ces jurisprudences furent une aubaine, c’est celui des ESSD. En effet, ces dernières proposent de nombreux services répondant à ces problématiques juridiques; conseil aux entreprises (sur des questions d’implantation par exemple), formation et sensibilisation des personnels, protection des sites et personnes, négociation lors de prises d’otages. Nombre d’entre elles ont également une casquette business intelligence. Avant l’attentat de Karachi, la question n’était pas stratégique ; la plupart des cibles étaient américaines, la France n’était pas/peu concernée. L’augmentation des « zones grises » à travers le monde et l’externalisation croissante des missions de défense, concomitantes à une baisse des dépenses dans le domaine de la défense, laisse de nombreuses entreprises implantées à l’étranger en charge de leur sécurité. Les militaires français n’ont pas le don d’ubiquité, ni les moyens financiers pour y parvenir. Cependant, malgré la hausse du marché pour les ESSD, la loi du 14 avril 2003 relative à la répression de l’activité de mercenaire empêche les agents de sécurité de disposer d’armes. De ce fait, de nombreux contrats furent remportés par des compagnies anglo-saxonnes, déjà largement implantées sur ce marché de la sécurité. Le projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires (présenté en début d’année et en discussion dès le 29 avril 2014) permettant à des salariés d’ESSD armés d’embarquer sur des navires battant pavillon français, pourrait créer une nouvelle impulsion d’origine législative pour ces entreprises. Il y a un réel blocage législatif dans un domaine où, les entreprises françaises se voient obligées de souscrire des contrats de protection avec des sociétés étrangères alors que ces mêmes sociétés recrutent nos soldats (généralement anciens des unités du Commandement des Opérations Spéciales) reconnus mondialement pour leurs qualités.
La France, dans le domaine du security risk management et des ESSD est en retard face aux firmes américaines, britanniques, israéliennes. Le marché de la sécurité privée mondial explose, du fait de la baisse des dépenses militaires dans de nombreux pays d’Europe en particulier et de l’augmentation des « zones grises » à travers le monde. Les risques sécuritaires sont aujourd’hui largement pris en compte par les grandes entreprises françaises, notamment au sein des directions « sûreté ». Cependant, afin de gagner de nombreux marchés, les ESSD françaises doivent inspirer confiance et donc bénéficier d’une liberté d’action garantie mais restreinte (grâce au Conseil National des Activités Privées de Sécurité) pour sortir des stéréotypes « Blackwater-Irak ». Un cadre législatif durable est la base du développement des ESSD françaises et l’assurance de voir se développer à terme des partenariats publics-privés mutuellement profitables.