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Les enjeux géopolitiques pétroliers dans le bassin des Caraïbes

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La baisse des cours du pétrole survenue entre l’année 2014 et 2016 a mis à jour les vulnérabilités des pays producteurs et dépendants de la rente pétrolière (Venezuela, Mexique notamment). Intégré à la zone d’influence des États-Unis, le bassin caribéen est néanmoins au centre d’enjeux internationaux majeurs et sa position stratégique sur le marché du pétrole attire de nombreuses convoitises, comme la Chine qui renforce ses investissements dans le pétrole…au détriment des États-Unis? 

La place centrale du bassin caribéen sur le marché pétrolier mondial

Ouverte sur l’Océan Atlantique et Pacifique (Canal de Panama) et zone de contact entre les continents Nord et Sud-américains, le Bassin caribéen est une plaque tournante du commerce mondial. Il s’agit d’une zone stratégique d’autant plus qu’elle est riche en hydrocarbures. Au niveau local, les îles antillaises et les pays d’Amérique centrale sont les principaux lieux de raffinage. Ils importent le pétrole lourd des pays producteurs, comme le Venezuela  et l’exporte une fois raffiné aux marchés nord-américains et européens. Ces petites états insulaires sont fortement dépendants de l’extérieur et ne bénéficient que très faiblement des revenus de la manne pétrolière. A échelle régionale, un second groupe d’acteurs comprend les pays producteurs de pétrole, notamment le Venezuela, détenant les plus grandes réserves prouvées de pétrole de la planète, avec près de 25% des réserves mondiales ainsi que le Mexique, bénéficiant des gisements off-shore du golfe du Mexique et qui profite d’une situation de proximité stratégique avec les Etats-Unis. Ces Etats entendent jouer un rôle intégrateur et stabilisateur dans la zone caraïbe et utilisent le pétrole comme levier d’influence. Enfin, à échelle internationale, l’espace caribéen est fortement intégré aux Etats-Unis, qui entendent dominer l’amont de la chaîne de production pétrolière pour assurer la sécurité de leurs approvisionnements et répondre à leur forte demande interne. Plus récemment, les pays d’Amérique latine et centrale voient les investissements d’autres pays asiatiques (Chine, Inde, Russie) affluer dans les secteurs énergétique et pétrolier, ce qui induit nécessairement un rapport de force avec les États-Unis, jusqu’alors principal moteur de l’intégration caribéenne.

Les mutations du rapport de force avec les États-Unis

Les États-Unis jouent un rôle majeur dans le continent latino-américain et la politique étrangère américaine se traduit depuis longtemps par un interventionnisme très marqué[1], dans la lignée politique de la doctrine Monroe (comme en 1973 avec le soutien du coup d’État, puis de la dictature de Pinochet au Chili ou encore la mainmise sur Cuba à travers le régime de Batista jusqu’en 1959, date de la révolution castriste) au point que l’Amérique latine soit surnommée « chasse gardée des États-Unis. Le secteur pétrolier n’échappe pas à la règle et les compagnies « Majors » des États-Unis (ExxonMobil, Chevron Texaco, ConocoPhilips etc.) sont les principaux vecteurs de l’influence dans la zone. Par le biais de prises de participations dans des consortia pour le contrôle des gisements, créations de raffineries (Curaçao, Sainte Lucie, Gran Bahama) ou actions de lobbying auprès des différents gouvernements, les compagnies américaines et européennes ont toujours voulu garder la mainmise sur le pétrole. Il faudra attendre 1975 pour que le Venezuela décrète son pétrole comme « ressource nationale » matérialisée par la création de sa compagnie nationale : PDVSA. En dépit des différentes initiatives visant à renforcer l’intégration du bassin caribéen à l’Amérique latine et à le soustraire à l’influence américaine (à l’image de l’Alliance PetroCaribe[2]) les États-Unis restent l’acteur dominant dans la zone. A titre d’exemple, le pétrole représente 96% des recettes d’exportations du Venezuela et près de 50% de ses recettes budgétaires, ce qui induit une forte dépendance. Cette dépendance est aggravée par le fait que les Etats-Unis soient le principal débouché des exportations vénézuéliennes.

Longtemps premiers importateurs de pétrole et de gaz au monde, les Etats-Unis sont en passe de connaître une situation d’indépendance énergétique et seront exportateurs nets d’ici 2030. Ce changement de paradigme impliquerait un désengagement des Etats-Unis sur la scène internationale, Washington donnant priorité à l’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels au détriment de leurs importations en énergie fossile. Cette nouvelle tendance change la donne sur l’échiquier géopolitique mondial et remet en cause les rapports de force entre Washington et certaines capitales latino-américaines. A échelle régionale, la baisse des importations américaines induit une baisse des prix, qui fragilise les pays producteurs de la zone, largement dépendants des importations pétrolières américaines. A titre d’exemple, 41% des investissements directs à l’étranger au Mexique proviennent des Etats-Unis et le Mexique est le 4eme exportateur pétrolier américain. Face à cette nouvelle donne, les entreprises d’Etat (PEMEX pour le Mexique et PDVSA pour le Venezuela) accumulent des déficits et se voient contraintes de renégocier leurs contrats d’approvisionnement à la baisse avec leur principal client et de chercher d’autres débouchés commerciaux.

L’émergence de la Chine 

Premier consommateur mondial de pétrole au monde, la Chine cherche à diversifier son approvisionnement énergétique et renforce ses investissements dans le secteur pétrolier en Amérique latine. Cette stratégie s’insère plus largement dans un contexte de coopération politique et économique avec les pays latino-américains, à l’image de Cuba qui établit des relations diplomatiques et commerciales avec la Chine dès 1960, mais également le Mexique et l’Argentine en 1972, le Brésil en 1975. Mais c’est avec le Venezuela que cette coopération prend les plus grandes proportions. Les visites d’Hugo Chavez à Pékin en 2004 et du Vice-Président Zeng Qinghong en 2005 se sont soldées par de nombreux contrats pétroliers dont 350 millions de dollar d’investissement dans la mise en valeur de 15 champs pétrolifères et 60 millions pour la construction d’infrastructures et de raffineries. Par ailleurs, l’entreprise vénézuélienne PDVSA et la société chinoise SINOPEC ont signé des contrats de prospection off-shore. Fin 2005, la Chine et le Venezuela ont créé une société commune afin de mettre en valeur le gisement de Zumano[3]. Plus récemment, la Chine a octroyé au gouvernement vénézuélien « crédits contre pétrole » à hauteur de 50 milliards de dollars contre un approvisionnement journalier de 540 000 barils. A l’échelle internationale, le rapprochement d’Etats latino-américains ouvertement hostiles à Washington (Cuba, Venezuela, Bolivie) avec la Chine tend à éloigner les États-Unis de son « pré carré » historique et pourrait fragiliser son influence.  Le renforcement de la présence chinoise dans le secteur pétrolier caribéen est une menace directe pour Washington, qui dispose de moindres leviers d’influence pour contrôler la zone. Si la présence chinoise a considérablement augmenté en quelques années, elle souffre de son éloignement géographique et reste substantielle en comparaison avec les États-Unis. La Chine pourrait cependant présenter à terme un réel contrepoids aux États-Unis en s’inscrivant comme le nouveau partenaire privilégié de l’Amérique latine.

[1] La politique internationale américaine en Amérique latine découle de la Doctrine Monroe, du président éponyme, qui affirme en 1823 que les continents Nord et Sud-américain ne sauraient tolérer une entreprise de colonisation ou d’intervention européenne. En contrepartie, les Etats-Unis s’engagent à ne pas interférer dans les affaires européennes.

[2] PetroCaribe est une alliance passée en 2015 entre le Venezuela et 18 pays latino-américains et caribéens visant à fournir un approvisionnement en pétrole à tarifs préférentiels

[3] La Chine en Amérique latine, Stratégies, objectifs et limites d’une présence, François LAFARGUE, Perspectives chinoises, N°97, Septembre-Décembre 2006

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