Qu’est ce que la géostratégie ?
Terme apparu au 19ème siècle sous la plume de Général Giacomo Durando, il connait une popularité importante à partir de la moitié du 20ème siècle. Terme flou et souvent confondu avec la « géopolitique » ou la géographie militaire, cette branche de la géopolitique désigne la fabrication des espaces par la guerre. Il a ainsi essentiellement une portée militaire, même s’il est de plus en plus utilisé pour étudier des phénomènes non militaires mais à la source de conflits (internet par exemple). La géostratégie consiste ainsi à étudier les implications politiques et guerrières de situations géographiques (ressources naturelles, espaces frontaliers, espaces maritimes). Ces espaces ne sont pas structurellement stratégiques mais le deviennent dès lors que le contexte politique, social ou économique évolue. Ainsi, l’amiral Castex souligne dans ses Mélanges stratégiques que les régions polaires ont acquis un intérêt stratégique à partir du moment où les moyens techniques se sont améliorés, les rendant accessibles et source de tensions.
Géographie militaire, géopolitique, géostratégie : quelles différences ?
Comment distinguer alors la géostratégie de la géopolitique définit par Yves Lacoste comme « rivalités de pouvoir sur des territoires » ? Ou encore de la géographie militaire, technique d’analyse permettant aux stratèges de préparer le renseignement et la conduite de la guerre en s’appuyant sur les éléments de contexte géographique?
Tandis que la géopolitique permet de décrypter ou d’asseoir la politique et les desseins des Etats ou ensembles régionaux, la géostratégie a une vocation militaire prescriptive et dynamique. Les acteurs qui en font l’usage sont essentiellement militaires, et se différencient en cela de ceux qui font l’usage de la géopolitique ou de la géoéconomie (acteurs civils, industriels).
Son échelle d’analyse (1) est aussi spécifique. L’art militaire comprend en effet différents types d’approche. Tandis que l’approche tactique (similaire à la géographie militaire) repose sur l’échelle topographique et vise à déterminer l’action à mener immédiatement dans un terrain donné, et que l’approche stratégique repose elle sur la géographie, à une échelle plus petite (région, Etat) et permet la définition de manœuvre des armées, l’approche géostratégique repose sur l’échelle macrogéographique ensemble d’Etats, voies de communication internationales) et permet à une échelle beaucoup plus petite la coordination des théâtres d’opération. Cette approche permet d’envisager l’effet produit par les opérations d’un théâtre sur les autres. L’approche géostratégique repose ainsi sur une conscience spatiale développée et un certain recul historique.
Cette définition n’est pas figée. A titre d’exemple, il existe des situations militaires non géostratégiques ayant des objectifs géostratégiques : l’invasion du Koweït par l’Irak, conduite sur un seul théâtre et dont l’objectif était géostratégique dans la mesure où les dividendes du pétrole koweïtien auraient permis le renforcement du potentiel militaire irakien, donc sa capacité à frapper un jour sur plusieurs théâtres à la fois. De même, certaines guerres géostratégiques sont menées pour des enjeux non perçus comme géostratégiques : l’invasion de l’URSS par l’Allemagne lors de la Seconde Guerre Mondiale a eu lieu sur plusieurs théâtres (Baltique, plaines centrales, Caucase, guérilla sur les arrières de la Wehrmacht) et revêt ainsi des aspects géostratégiques alors que l’objectif était idéologique.
La géostratégique constitue ainsi une pratique et une méthode d’action concrète : action militaire, menée sur plusieurs théâtres à échelle macrogéographique avec comme objectif l’acquisition d’espaces ou ressources considérés comme vitaux. Avec le recul, relatif, des opérations armées et le développement des nouvelles formes d’affrontements (cyber-guerre, soft power, criminalité organisée etc.), le terme de géostratégie est utilisé dans des contextes variés et pose à moyen terme la question de son adaptation conceptuelle afin de la distinguer au mieux de la notion de géopolitique.
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(1) La notion d’échelle en géographie est un outil d’analyse spatiale est souvent mal compris. L’échelle repose sur un rapport et en ce sens le terme de « grande échelle » correspond à une représentation proche de la réalité (rapport proche de 1/1), et non à la notion de « grande ampleur » que signifie souvent l’expression journalistique «à grande échelle ». L’expression « à petite échelle » désigne à l’inverse une échelle de valeur élevée et donc une représentation de taille réduite comme un planisphère.