La nature, un bien inestimable?
Une économie dont la croissance est élevée mais qui pollue son environnement crée-t-elle plus de richesses qu’elle n’en détruit ? Une eau saine et un air pur ne rentrent pas dans la comptabilité de la richesse nationale, pourtant, ils sont indispensables à l’activité humaine. L’environnement constitue donc un capital qu’il faut préserver. Mesurer la valeur de ce « capital naturel » n’est pas chose facile mais permettrait de répondre à la question introductive.
Le rapport Brundtland publié en 1987 définit le développement durable comme « un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Pour mesurer si chaque année le développement humain est durable au sens du rapport Brundtland, la Banque mondiale a élaboré un indicateur de soutenabilité: l’épargne nette ajustée. La construction de cet indicateur se fait en plusieurs étapes, décrites sur le schéma ci-contre :
1) mesure de l’épargne brute du pays (gross saving) représentée ici en pourcentage du revenu national brut (gross national income)
2) auquel on soustrait la dépréciation du capital (usure des machines etc.) pour obtenir l’épargne nette
3) on ajoute ensuite la variation du capital humain, la Banque mondiale réduit cela aux dépenses d’éducation (education expenditure)
4) on soustrait la valeur des ressources épuisables consommées sur l’année (depletion of natural resources), le calcul de cette valeur découle de la rente dégagée par l’exploitation de ces ressources
5) on déduit enfin les dommages globaux liés à la pollution au dioxyde de carbone
L’épargne nette ajustée agrège donc le capital financier (l’épargne), le capital humain (les dépenses d’éducation) et le capital naturel, pour évaluer « la richesse au sens large » créée sur l’année. Une épargne nette ajustée positive signifie alors que le développement a été soutenable sur l’année écoulée puisque la richesse totale a augmenté. L’épargne nette ajustée apparaît donc comme un outil utile pour l’analyse économique de la soutenabilité.
Elle présente néanmoins de nombreux défauts, soulignées dans l’article « l’épargne nette ré-ajustée » de Céline Antonin, Thomas Mélonio et Xavier Timbeau.
Tout d’abord les capitaux naturel et humain sont surestimés. Le capital humain comme tout autre capital subit une dépréciation mais elle est négligée. En effet, le vieillissement de la population engendre une réduction de la population active, notamment dans les pays développés, et donc une réduction du capital humain disponible pour la création de richesses. Les dommages à l’environnement sont sous-estimés, puisque seule la pollution due au CO2 est prise en compte, alors qu’il existe d’autres polluants comme le méthane, les composés fluorés ou encore l’oxyde nitrique.
Cependant c’est la méthode de construction de l’indicateur qui fait le plus débat. L’agrégation des capitaux financier, humain, et naturel, pour évaluer la soutenabilité revient à considérer que ces capitaux sont substituables, or ce n’est pas le cas. En effet, l’action de sommation équivaut à annuler les dégâts causés à l’un par les surplus de l’autre. Une épargne élevée ne remplacera jamais un environnement détruit. Ensuite, l’épargne nette ajustée se focalise sur la production et non sur la consommation. Elle attribue ainsi injustement l’entière responsabilité de la pollution aux pays producteur et non pas aux pays consommateur. L’économie chinoise est ainsi pointée du doigt, alors que les pays développés y ont délocalisé massivement leurs productions polluantes. Pourtant, la consommation occidentale est tout autant insoutenable que la production chinoise.
La nature est donc un bien inestimable car elle représente un capital non-substituable et indispensable à l’activité humaine. Les indicateurs de soutenabilité, même s’ils sont imparfaits, permettent de montrer sa valeur en l’incluant dans le raisonnement économique, ce qui est un très bon moyen de la préserver.
Pour aller plus loin : Economie de l’environnement et économie écologique Eloi Laurent, Jacques Le Cacheux, l’épargne nette ré-ajustée, Céline Antonin, Thomas Mélonio, Xavier Timbeau