Sunnites, chiites : quelles différences?
La fracture entre chiisme et sunnisme constitue une des principales clés de lecture des tensions ayant cours au Moyen Orient. Ces deux courants sont issus d’une divergence d’appréciation concernant la succession du prophète Mahomet en 632. Alors les futurs sunnites considèrent que sa succession devrait être assurée par Abou Bakr, ami proche du prophète, les futurs chiites considèrent qu’Ali, le gendre du prophète serait son successeur, en raison notamment de leurs liens de filiation. S’ensuit alors une prise de position : la majorité des musulmans décident de suivre Abou Bakr, premier calife. Il a pour mission de continuer la tâche de Mahomet et gouverne un territoire s’étendant de l’Egypte à l’Arabie. En 634, à sa mort, les califes Omar et Othman lui succèdent et tentent d’asseoir leur légitimité face aux velléités des chiites. Débutent alors les guerres de succession entre ces deux visions de l’Islam, les chiites derrières Ali prônent une version plus rigoureuse de l’Islam et une application stricte du Coran. En 680, la défaite des chiites à Kerbala (Irak) au cours de laquelle Hussein le fils et successeur d’Ali est tué, scelle la fin des guerres de succession.
Concrètement, cette divergence se traduit par une organisation de la religion, et notamment des autorités religieuses. La fonction de l’imam est perçue différemment : il s’agit d’un pasteur nommé ou autoproclamé ayant une fonction de conseil et d’orientation des croyants pour les sunnites, tandis qu’il s’agit un guide tirant son autorité de Dieu chez les chiites. Cela a pour conséquence une organisation différente des relations entre le pouvoir et la religion. Elles sont souvent liées au sein des pays à dominante sunnite et plus indépendantes dans les pays chiites (ayatollahs iraniens).
Des différences doctrinales d’antan aux conflits régionaux actuels
Si aujourd’hui 85% des musulmans sont sunnites, les chiites sont très présents dans certains pays à l’image de l’Iran, l’Irak, le Bahreïn et l’Azerbaïdjan. Des communautés chiites existent également au Yémen, en Afghanistan, en Arabie Saoudite, au Liban ainsi qu’en Inde et au Pakistan. Moins connus, d’autres courants au sein de l’islam à l’image des kharidjites (Oman, Maghreb), druzes, alaouites (secte chiite présente en Syrie), alévis (Turquie).
L’opposition entre chiites et sunnites, aussi appelé « fitna », si elle est régulièrement mise en avant, est essentiellement liée à des enjeux politiques. L’Iran, puissance chiite, est depuis 1979 – date à laquelle a été renversée la monarchie sunnite par l’ayatollah Khomeini – en conflit avec les dirigeants sunnites considérés comme trop proches des Etats Unis et ainsi vus comme des corrompus. Les pays sunnites voisins, notamment l’Irak de Sadam Hussein et le Bahreïn décident en 1980 d’envahir le pays, plus dans une logique économique du fait de l’importance des ressources pétrolières iraniennes que de l’application d’une vision de l’Islam. Ce conflit qui a fait plus d’un million de mort n’a pas eu d’impact sur les frontières ou l’orientation religieuse du pays. En 2004, le roi Abdallah de Jordanie verbalise également cette divergence entre les courants sunnites et chiites en regroupant l’Iran, le Liban, le Pakistan, l’Irak et la Syrie au sein d’un ensemble qu’il désigne comme le « croissant chiite ». Si des alliances manifestes existent entre ces pays (soutien de l’Iran au Hezbollah) elles sont parfois dépassées selon les enjeux stratégiques (soutien de l’Iran au Hamas sunnite ou de l’Arménie chrétienne face à l’Azerbaïdjan chiite).
Aujourd’hui, l’opposition entre ces deux courants s’exprime essentiellement par les tensions entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, et est transposée en Syrie où les alaouites sont au pouvoir. Les puissances sunnites voient ainsi d’un mauvais œil le retour sur la scène internationale de l’Iran dont la puissance économique potentielle modifiera les rapports de pouvoir dans la région. Cela est également exacerbé par la proclamation en 2014 de « l’État islamique » issu d’une vision sunnite radicale développant un discours anti-chiite et anti-alaouite. Ainsi, cette fracture ancienne au sein de l’Islam apparaît comme une tendance de fond, servant au gré des enjeux politiques et géopolitiques à justifier les desseins de chacun, dans un contexte de quête pour les ressources et de lutte pour l’hégémonie régionale.