Les Coulisses Noires de la Chine Verte – Jessy Périé
Dans le cadre d’un partenariat bilatéral, Les Yeux du Monde publieront à intervalles réguliers des articles rédigés par Mercoeur, une association fondée en 2017 autour de la volonté de proposer des analyses et articles traitant d’enjeux sécuritaires internationaux.
L’image de la Chine plongée dans un brouillard gris, peuplée de gens masqués est ancrée dans les esprits. La décennie 2000 fut l’âge d’or de la Chine, l’âge de la croissance au-dessus de 10 %, l’âge de la mondialisation, l’âge du charbon. Ainsi aujourd’hui, la Chine c’est aussi 10 milliards de tonnes de CO2 émis sur 35 milliards de tonnes mondiales et le second rang en termes de coût humain de la pollution de l’air – l’Inde est passée à la première place début 2017. Pollution de l’air, pollution de l’eau, déforestation, le danger est réel. Actuellement, plusieurs facteurs poussent la Chine à amorcer une vraie transition écologique, même si les retombées de cette reconversion constituent également une vraie problématique.
La transition environnementale, pourquoi ?
La Chine est le premier émetteur de CO2 au monde et pourrait être responsable des trois-quarts des émissions de gaz à effet de serre de la planète d’ici 2030 – cependant, ce chiffre est à remettre en perspective au vu de la taille du pays et de sa population. Si on observe les émissions par habitant, un Chinois émet 6,7 tonnes quand un Américain en émet en moyenne 17 tonnes. Même si le sujet est complexe et discutable quant à ses réelles réalisations, la pollution et le réchauffement climatique sont aujourd’hui pleinement intégrés aux débats politiques mondiaux. La Chine ne peut donc plus se doter d’ambitions de leader commercial, et même de puissance globale sur l’échiquier international sans prise en considération de ces enjeux. Le retrait américain des Accords de Paris en juin 2017 a de plus ouvert la perspective d’un leadership chinois plus poussé en termes d’environnement, avec derrière la possibilité d’asseoir un peu plus sa domination dans les débats globaux face à des États-Unis « mauvais élèves » tant que Donald Trump est en exercice. Ainsi, quelle que soit sa politique, les décisions du gouvernement chinois sont scrutées par les acteurs internationaux. Le climat est un bien commun à l’humanité et la pollution ne s’arrête pas aux frontières. De plus, la Chine est aujourd’hui la première puissance commerciale et la seconde économie mondiale, ses décisions ont donc des conséquences globales.
En parallèle, l’émergence d’une classe moyenne, aisée et urbaine a aussi entraîné des exigences en matière de santé publique. L’air irrespirable des villes chinoises qui multiplient les jours d’alerte de pollution a provoqué des mobilisations sociales importantes de la part d’une population soucieuse de son confort de vie. Selon une étude de l’Université de Berkeley parue en juillet 2015, environ 4000 morts par jour en Chine sont dues à la pollution de l’air [1]. Face à ces éléments, dans un contexte de ralentissement de sa croissance et de nécessité de repenser son modèle économique, le gouvernement chinois ne peut faire autrement que de s’engager de manière ambitieuse. Récemment, un plan quinquennal a été présenté, s’étalant de 2016 à 2020 : Le pays envisage de réduire sa consommation de charbon, actuellement à 64 % de son mix énergétique, pour l’abaisser à 58 %. Cette consommation diminue déjà depuis 2013, mais de manière très insuffisante jusqu’ici. De plus, le gouvernement prévoit d’investir 361 milliards de dollars dans l’électricité à base d’énergies renouvelables, appuyant le fait que cela pourrait créer environ 13 millions d’emplois. De manière générale, la Chine compte arriver à 15 % d’énergies non fossiles dans son mix énergétique d’ici 2020, misant sur le solaire – le pays table d’ailleurs sur un élargissement des parts de marché dans ce domaine, étant devenu le premier producteur mondial d’énergie solaire en 2016 – et l’éolien, mais surtout sur le nucléaire et l’hydraulique. Tout l’intérêt dans ce passage à une Chine « plus verte », est d’amorcer une transition économique vers un modèle tourné vers les innovations technologiques – qui est une faiblesse actuellement dans l’économie chinoise. L’enjeu est aussi de relancer la croissance car des conditions environnementales difficiles poussent les expatriés chinois à ne pas revenir, dissuadent les travailleurs qualifiés de venir en Chine, et engendre des dépenses de santé publique importantes qui augmentent depuis le milieu des années 2000. Mais si une transition est inévitable, elle prendra aussi du temps, peu compatible avec les échéances de développement chinoises.
(Chiffres : Banque mondiale)
Une expansion en nuances de brun
Le projet des nouvelles routes de la soie, dit projet OBOR[2] est la clé de voûte de l’avenir chinois pour le gouvernement. Une voie terrestre, en partie ferroviaire, jusqu’en Europe via l’Asie centrale et une voie maritime passant par l’océan Indien et l’Afrique. La Chine veut sécuriser son approvisionnement énergétique, très dépendant de l’extérieur, étendre son influence et sécuriser ses voies d’importation. Mais sa politique environnementale s’étend-elle à ce « collier de perles[3] » ?
Il y a quelques années, les délocalisations occidentales affluaient en Chine. Mais aujourd’hui, la main-d’œuvre coûte plus cher et c’est la Chine qui déplace ses usines dans des pays moins coûteux et moins regardants en termes de droit du travail. Le Cambodge, le Vietnam ou le Bangladesh pour ne citer qu’eux ont progressivement accueilli de plus en plus d’usines de leur géant voisin, principalement dans le domaine de la production de caoutchouc et la teinture de textile : des activités extrêmement polluantes. Le gouvernement chinois peut ainsi amorcer une politique environnementale nationale tout en conservant son efficacité et son volume de production. Dans la même région, en mer de Chine méridionale, la Chine a entrepris depuis 2014 la construction de polders[4] pour agrandir des îles ne lui appartenant pas au regard du droit international. Outre le contentieux territorial avec la quasi-totalité des pays en présence, ces initiatives ont des conséquences écologiques considérables : ces îles abritent des récifs coralliens importants, avec celui par exemple des îles Spratleys qui abrite quelques 571 espèces de coraux, essentiels à la survie de la faune marine et donc à la régulation du climat.
En Afrique, la Chine s’investit de manière soutenue même si elle ne représente pour l’instant que 0,6 % des IDE[5] sur le continent. Ces mêmes IDE ont connu un ralentissement en 2014 pour repartir à la hausse depuis 2015.
(Chiffres : ACapital)
Les ressources naturelles sont particulièrement ciblées. Le gouvernement participe à la construction de routes, à l’amélioration des infrastructures sur le continent mais elle importe surtout massivement les matières premières. En septembre 2017, la Guinée et la Chine ont conclu un accord de 20 milliards de dollars pour une mise à disposition progressive des ressources minières de bauxite jusqu’en 2036. Le pays exportant ensuite majoritairement des biens de consommation, le continent africain ne bénéficie que très peu de cette présence chinoise et les conséquences écologiques sont pointées du doigt. Les dégâts environnementaux causés par l’exploitation intensive des matières premières sont considérables. En 2014, le gouvernement tchadien a condamné la China National Petroleum Corporation à 800 millions de dollars d’amende pour atteinte à l’environnement en conséquence de son exploitation pétrolière dans le bassin du Bongor[6]. Mais en parallèle, la dépendance de ces pays à ces exportations vers la Chine rend difficile toute remise en cause : en Angola par exemple, 94 % des exportations sont constituées par le pétrole. Dans un autre secteur, le gouvernement chinois multiplie la construction de barrages. Les deux barrages hydro-électriques d’Inga notamment, en République Démocratique du Congo, vont gravement impacter les forêts humides de la zone, les écosystèmes et le puits de carbone qu’elles représentent. Concernant les forêts africaines d’une manière plus globale, l’exploitation chinoise conduit à une déforestation catastrophique avec 75 % de la production de bois en Afrique importée par l’Empire du Milieu. Au Mozambique notamment, où la Chine extrait des bois et essences rares comme l’ébène ou le mopane. Cette exploitation est en grande partie illégale, entraîne une déforestation et une raréfaction des ressources et des êtres-vivants dépendants de cette forêt. Le Cameroun, le Gabon ou encore la République Démocratique du Congo sont aussi concernés[7]. L’industrie chinoise du bois est donc prospère – son chiffre d’affaires s’élève à 6 milliards de dollars en 2016[8] – le bassin du Congo possédant la deuxième plus grande forêt au monde. L’ambition chinoise de diversifier ses sources d’approvisionnement afin de diminuer sa dépendance énergétique et en matières premières outrepassent largement les problématiques écologiques hors de ses frontières, en particulier dans des pays en position de faiblesse, de dépendance et aux législations moins contrôlées.
Le paradoxe de la technologie verte
Même sur les propres terres du gouvernement chinois, l’écologie disparaît rapidement derrière la fumée économique. L’exemple des « terres rares » est à la fois parlant et contradictoire. La Chine possède près de la moitié mondiale de ces espaces qui contiennent des métaux rares mais indispensables à l’élaboration de nos technologies modernes comme les puces des smartphones, les écrans LED… Mais aussi les batteries pour les voitures électriques ou les moteurs d’éolienne[9]. Et c’est là tout le paradoxe qui démontre les motivations chinoises. Extraire ces métaux en quantité suffisante demande des techniques très nocives pour l’environnement, et la demande est croissante. Investir dans des moyens de production d’énergie renouvelable ou des transports moins polluants – le gouvernement chinois a annoncé vouloir passer à un parc automobile totalement électrique d’ici 2040 – passe donc par ces terres rares et leur exploitation, et donc une extraction catastrophique d’un point de vue environnemental. Ainsi ces réserves constituent un enjeu géopolitique considérable. La « Chine verte » est donc une notion discutable, qui pose plutôt la question de la croissance économique pour l’instant inextricablement liée à l’extraction de ressources. Nos modèles de développement se sont fondés sur la production d’énergie – particulièrement du pétrole. Sans énergie, les économies modernes n’ont plus de force motrice, plus de transports, plus d’industrie. La Chine ne fait pas exception et pour soutenir sa croissance fulgurante elle a multiplié par six sa consommation depuis 1980. Si le pays a amélioré son efficience énergétique, il doit encore engranger sa transition. L’avenir économique, commercial, politique de la Chine est en jeu mais aussi celui du monde. Malheureusement, la délocalisation des activités les plus polluantes vers des pays plus souples et surtout plus vulnérables vient ternir cette image de « Chine verte ». Les débats écologiques sont houleux sur les questions de responsabilité, de « droit au développement » et de la synchronisation entre croissance économique et urgence écologique. Entre fracture sociale grandissante et expansion ambitieuse, la Chine saura-t-elle trouver un équilibre dans sa transition environnementale ?
Article proposé par Jessy Perié, auparavant étudiante en relations internationales (IRIS Sup’).
[1] http://berkeleyearth.org/wp-content/uploads/2015/08/China-Air-Quality-Paper-July-2015.pdf
[3] Expression utilisée pour désigner les bases et structures chinoises installées le long de la route de la soie maritime.
[4] Un polder est une étendue de terre gagnée sur la mer via des digues (définition Larousse).
[5] Investissement Direct Étranger.
[6] http://www.rfi.fr/afrique/20140810-tchad-chine-petrole-cnpc-environnement-pollution-tribunal-plainte-civil-penal-bongo
[7] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/03/28/la-chine-fait-main-basse-sur-les-forets-africaines_4891052_3212.html
[8] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/03/28/la-chine-fait-main-basse-sur-les-forets-africaines_4891052_3212.html
[9] https://asialyst.com/fr/2017/10/16/chine-enjeu-economique-terres-rares-derriere-fin-vehicules-essence/