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L’importance stratégique du Sri Lanka dans l’océan Indien [1/2]

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Théâtre d’influence et de confrontations géostratégiques, l’océan Indien représente un espace pivot pour les échanges internationaux. Pour Alfred Thayer Mahan, officier de la marine américaine au XIXe siècle, “la puissance qui dominera l’océan Indien contrôlera l’Asie et l’avenir du monde se jouera dans ses eaux[1]. Le troisième plus grand océan du monde est en effet au cœur des enjeux économiques et politiques. Dans ce contexte, le Sri Lanka est également devenu un centre d’attention.

Situé au cœur de l'océan Indien, le Sri Lanka a pris une place stratégique dans les affaires du monde.
Situé au cœur de l’océan Indien, le Sri Lanka a pris une place stratégique dans les affaires du monde.

L’océan Indien au cœur des enjeux de puissance

Centre stratégique du XXIe siècle, l’océan Indien est bordé par 47 pays. 25% du trafic maritime international y transite. Il abrite près de la moitié des réserves mondiales d’hydrocarbure, d’uranium, d’or et de gaz naturel. Les trois quarts des ressources planétaires en diamants s’y trouvent également. L’océan Indien est donc une plaque tournante permettant une projection vers l’Asie, l’Europe et l’Afrique.

En plus des intérêts économiques et commerciaux, les tensions se sont intensifiées à cause des rivalités géopolitiques et stratégiques. Les États-Unis, la Chine et l’Inde notamment s’y affrontent pour le leadership régional. D’autres puissances secondaires, comme la France, le Royaume-Uni, le Pakistan, Singapour, la Malaisie ou la Corée du Sud sont actives. Par exemple, 75% des exportations de l’Union Européenne transitent par cet espace. L’Union Européenne a ainsi fait de la sécurisation de ses voies d’approvisionnement un enjeu majeur avec la mise en place de l’opération Atalante dans un océan Indien confronté à de nombreux défis sécuritaires.

La région présente en effet des vulnérabilités et des disparités importantes de croissance. L’absence d’une architecture de sécurité globale permet une concurrence stratégique accrue entre les grandes puissances (exercices militaires, expansion des flottes et des bases), et surtout une augmentation des menaces à la sécurité non-traditionnelles. L’océan Indien est ainsi devenu un théâtre pour les trafics en tous genres (drogue, armes, humain) et la piraterie maritime. Le spectre du terrorisme maritime plane également sur des pays comme les Maldives, les Philippines ou encore l’Indonésie. Dans ce contexte, le Sri Lanka, situé au cœur de l’océan Indien entre plusieurs voies de communication essentielles, occupe une place stratégique.

Localisation stratégique du Sri Lanka

Nommée Ceylan du temps de l’ancienne route des Indes, le Sri Lanka constituait alors une escale obligée. L’île colonisée par le Portugal, les Pays-Bas et l’Empire britannique, abrite 22 millions de personnes. Les puissances européennes ont utilisé les ports locaux pour le commerce de produits, l’amarrage et le ravitaillement des navires. La Grande-Bretagne notamment a aussi utilisé les ports à des fins militaires.

Ainsi, avec le port de Trincomalee, le Sri Lanka détient une position-clé sur les routes maritimes. Ce port naturel aux nombreuses îles permet facilement l’accostage et la dissimulation de sous-marins. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le port de Trincomalee était une base navale de la Flotte d’Orient Britannique. Le bureau d’investissement du Sri Lanka a souligné que l’emplacement du Sri Lanka près du sous-continent indien permet aujourd’hui d’accéder à un marché de 1,3 milliard de personnes.

Sri Lanka : le “Grand jeu” de la Chine, de l’Inde et des États-Unis

Le pays indépendant depuis 1948 est au cœur d’une concurrence entre les grandes puissances asiatiques et de l’océan Indien. Les États-Unis, la Chine et l’Inde se disputent l’île. L’Inde refuse de laisse échapper l’ancien Ceylan. New Delhi cherche à contrer l’influence croissante de la Chine sur l’île. Pékin mise en effet sur le Sri Lanka pour développer ses nouvelles routes de la Soie. Les États-Unis veulent y conserver leur influence traditionnelle. Un rapport du Comité des affaires étrangères du Sénat américain, intitulé “Sri Lanka : établir la stratégie américaine après la fin de la guerre” soulignait dès 2009 le danger de l’augmentation de l’influence de la Chine à Colombo, déclarant ouvertement que les États-Unis “ne peuvent se permettre de perdre le Sri Lanka”. Depuis longtemps, Washington cherche à établir des bases logistiques et militaires au Sri Lanka, ce que Colombo a toujours refusé.

Récemment, les négociations du projet d’accord Status of Forces Agreement (SOFA) ont créé la controverse. Le président et ministre de la Défense Maithripala Sirisena a dénoncé un accord négocié derrière son dos, qui minerait l’indépendance et la souveraineté du Sri Lanka. « Plusieurs accords actuellement en cours de négociations sont contraires aux intérêts de notre pays » a-t-il déclaré en août 2019. Cet accord aurait permis un accès réciproque aux infrastructures portuaires et une entrée facilitée aux militaires. « Je n’accepterai pas le SOFA qui vise à trahir la nation. Certaines forces étrangères veulent faire du Sri Lanka l’une de leurs bases. Je ne les autoriserai pas à entrer dans notre pays et à défier notre souveraineté », a ajouté Sirisena.

Au cœur de ces rivalités, le Sri Lanka cherche à développer un rôle régional par la diplomatie économique et par un leadership normatif.

Natasha Fernando

Edité par Solène Vizier et Harini Kalansuriya

Natasha Fernando est chargée de programme au Regional Centre for Strategic Studies au Sri Lanka. Elle est chargée de liaison régionale pour l’Asie du Sud au partenariat mondial pour la prévention des conflits armés. Elle se spécialise en droit international.

Sources

[1] Alfred T. Mahan, “Whoever controls the Indian Ocean dominates Asia. This Ocean is the key to the seven seas. In the 21 st century the destiny of the world will be decided on its water”.

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