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Défense Européenne, Allégeance Atlantique – Hugo Decis

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Dans le cadre d’un partenariat bilatéral, Les Yeux du Monde publient à intervalles réguliers des articles rédigés par Mercoeur, une association fondée en 2017 autour de la volonté de proposer des analyses et articles traitant d’enjeux sécuritaires internationaux.

Pour quelques dollars de plus

Pour remplacer sa flotte de F-16 désormais dépassés, la Belgique recherche depuis plusieurs années un successeur à la hauteur et ce, afin de maintenir trois compétences-clés :

  1. la lutte air-air,
  2. la possibilité de délivrer une frappe nucléaire,
  3. et le soutien conventionnel air-sol.

Trois candidats se livrent une lutte de haute-volée, qui, loin de n’illustrer que les errances belges en matière de défense, symbolise au contraire tous les paradoxes sur lesquels les dirigeants européens espèrent encore pouvoir bâtir une défense commune. La décision belge, si elle ne condamnera pas la défense européenne aux succès immédiats ou aux échecs éternels, aura au moins le mérite de clarifier la réalité des ambitions à l’heure où les déclarations béates et hypocrites se multiplient[1].

Après le retrait inexpliqué de Boeing et de Gripen de la course, trois candidats se disputent encore le futur de l’aviation militaire belge[2] : ces trois offres, proches en apparence, reposent pourtant sur des considérations bien spécifiques d’ordre géopolitiques, diplomatiques, stratégiques et économiques et auront un impact très particulier sur la défense européenne. Nous excluons donc dans cette analyse les considérations de politique intérieure liée aux relations entre francophones et flamands, ou encore à la gestion, au sein du territoire belge, des retombées économiques.

L’offre américaine : Lockheed Martin F-35 Lightning II

RôleAvion multirôle
StatutEn service
Mise en Service2015 – 2016 – 2019
Plafond18,500 (m)
Rayon d’Action869 – 1,138 (km)
Masse Maximale25,600 (kg)
Armement (interne)
Armement (externe)
Canon de 25mm
6,800 kg de missiles ou bombes

L’offre américaine est de loin la moins intéressante financièrement, mais elle est aussi celle qui comporte les avantages diplomatiques et stratégiques les plus évidents puisque toute décision belge en faveur de Lockheed Martin entraînerait un rapprochement entre Bruxelles et Washington à l’occasion de ce nouveau succès américain à l’exportation. Considérant le poids du lobby atlantique en Belgique[3] – où se situe, entre autres, le siège de l’OTAN – ces externalités d’ordre (géo)politique pourraient aisément contrebalancer les défaillances américaines en matière de rapport qualité-prix ou encore la valeur que l’élite belge accorderait à la coopération européenne. Lockheed Martin se propose ainsi de remplacer les 72 F-16 belges par 34 F-35(A) la déclinaison la plus classique de cet appareil omni-rôle. Prix de l’offre : 6,53 milliards de dollars[4].

L’offre américaine comporte, au-delà de la dimension politique et diplomatique, plusieurs avantages qui méritent d’être évoqués : alors que le Royaume-Uni, la Norvège, l’Italie et la Suisse disposent déjà soit de F-35(A), soit de F-35(B) – sa version navalisée – la Belgique s’insérerait dans un paysage européen déjà considérablement vampirisé par l’industrie militaire américaine et pourrait compter sur une interopérabilité conséquente avec les pays sus-cités. Les Pays-Bas, qui recevront leurs premiers F-35 en 2019 figurent ainsi parmi les partenaires les plus importants de la Belgique : si ces deux pays armaient des appareils similaires, ils pourraient mutualiser non-seulement les missions, mais encore les infrastructures liées à la maintenance et au déploiement de ces derniers, ce qu’ils font déjà avec leurs F-16[5].

Quelques considérations viennent néanmoins miner la valeur de l’offre américaine : d’abord et si une partie des critiques qu’attirent le F-35 relève du fantasme, on ne peut décemment taire ni les incertitudes financières[6] structurant le dossier du F-35 ni le caractère éminemment politique de ce choix, alors que tout achat d’un matériel américain stratégique s’accompagne de conditions d’emploi strictes dont la nature échappe bien souvent aux responsables politiques comme aux opinions publiques. Le récent scandale parlementaire lié à la possible rétention d’informations liées à cette offre fragilise plus avant l’offre américaine et pourrait conduire à un report complet de la procédure décisionnelle[7].

L’Offre « Européenne » : Eurofighter Typhoon

RôleAvion multirôle
StatutEn service
Mise en Service2004
Plafond16,800 (m)
Rayon d’Action1,852 (km)
Masse Maximale21,000 (kg)
Armement (interne)
Armement (externe)
Canon de 27mm
Missiles ou bombes (masse non-précisée)

L’Eurofighter n’est pas à proprement parler une alternative européenne aux F-35 américains et aux Rafale français. On peut néanmoins qualifier cette offre d’européenne car quatre grandes nations du continent chapeautent ce projet : l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne. On peut d’ores-et-déjà relever que trois des acteurs sus-citées équipent ou entendent s’équiper de F-35 américains : l’Italie, qui dispose de F-35(A) ; le Royaume-Uni, récent acquéreur de F-35(B) à décollage vertical qui équiperont ses deux nouveaux porte-avions STOVL, et l’Espagne qui espérerait aussi se doter, à travers ces F-35(B), d’un outil décuplant ses capacités aéronavales. On peut dès lors observer trois marchés distincts : celui de l’aéronavale classique, où seuls les appétits des aéronefs navalisés sont recevables ; celui de l’aéronavale à décollage vertical, excluant de facto les Rafale français et les Eurofighter européens et enfin celui de l’aviation militaire classique où, considérations technologiques exclues, Eurofighter, Rafale et F-35 combattent à armes égales.

Au-delà de récentes déclarations faisant état de la possibilité que la Belgique se dote de Rafale navalisés pour disposer d’un groupe aéronaval à déployer depuis le porte-avions français Charles de Gaulle, Bruxelles n’est donc concernée que par le seul marché classique où le F-35 n’est pas naturellement privilégié, au contraire des marchés aéronavals italiens et espagnoles où le triomphe du F-35(B) est naturel et structurel. Sur ce marché spécifique, l’Eurofighter offre des avantages comparables au F-35(A) : utilisés par de nombreuses puissances européennes (et extra-européennes) il autorise un certain cumul des structures de maintenance et de déploiement et offre un degré d’interopérabilité à valoriser. Enfin, le choix d’un appareil dont la production signifierait de facto des retombées économiques et financières concernant directement quatre puissances européennes proches de Bruxelles constituerait, d’un point de vue diplomatique, une option intéressante pour la Belgique.

Quels sont alors les défauts de cette offre ? L’Eurofighter n’est ni un outil d’excellence technologique comme le F-35, ni l’aéronef au lourd passé opérationnel qu’est le Rafale. Moins sophistiqué que son adversaire américain, il a aussi été notablement moins employé et déployé que son concurrent français, n’étant utilisé qu’en Libye et au Yémen – c’est-à-dire, par ailleurs, au cours de deux campagnes militaires particulièrement décriées et où le confort opératif est à peu près absolu[8] – alors même que l’on évoque déjà l’après-Eurofighter, notamment en Allemagne[9]. Par ailleurs, le mécontentement des gouvernements utilisateurs vis-à-vis de l’inflation récurrente des coûts du programme Eurofighter constitue une mauvaise publicité pour l’offre européenne en Belgique[10].

L’Offre Française : Dassault Rafale

RôleAvion multirôle
StatutEn service
Mise en Service2001
Plafond15,240 (m)
Rayon d’Action1056 – 1759 (km)
Masse Maximale24,500 (kg)
Armement (interne)
Armement (externe)
Canon de 30mm
9,500kg de missiles ou de bombes

L’offre française est de loin la plus controversée. Bien naturellement, c’est aussi celle dont la presse française généraliste parle le plus, sans parvenir parfois à trouver un équilibre entre un narratif « national » et une approche trop sensible aux éléments de langage propres au concurrent américain. Ce biais « français » que nous évoquions plus tôt, apparaît comme une réaction au tropisme pro-américain d’une part conséquente de la presse et des élites belges et vise fondamentalement à fragiliser la conviction que ce marché belge serait un faux enjeu appelé à voir le triomphe quasi-automatique du F-35(A)[11]. L’offre française demeure néanmoins politiquement et diplomatique fragile, dans un contexte où la recherche belge à un successeur aux F-16 relève autant d’un choix militaire et stratégique que d’une décision politique et budgétaire.

L’offre française présente des atouts : le Rafale est un appareil ‘combat-proven’ c’est-à-dire dont l’utilisation opérationnelle certifie la qualité réelle, observable en dehors des seules données mises en avant par un quelconque service marketing. Déployés en Afghanistan, en Libye, au Mali, en Irak et en Syrie, les Rafale illustrent tout l’intérêt de disposer d’un appareil polyvalent, capable de mener des missions de reconnaissance, de bombardement ou de suprématie aérienne, sans avoir à être couplé à d’autres appareils plus spécialisés. D’un point de vue technologique, note par ailleurs l’expert Joseph Henrotin, « le Rafale a un avantage en termes de potentiel d’évolution que le F-35 n’a pas. »[12] Au-delà de ces considérations opérationnelles et technologiques, il est important de noter que l’offre française s’accompagne d’un volet économique très – et peut-être trop[13] – riche[14].

L’approche française du marché belge est néanmoins entachée d’erreurs formelles la décrédibilisant dans un contexte où (a) les traditionnelles rivalités entre Flamands et Wallons nourrissent un scepticisme féroce à l’égard de l’offre, (b) le F-35 bénéficie du retrait de deux concurrents. « La Request for Governement Proposals (RfGP) belge demandait ainsi un partenariat d’État à État mais aussi de répondre en anglais à 164 questions, et de terminer par une offre de prix. […] Las ! Si offre de partenariat il y aura bel et bien, la Belgique devra cependant s’en contenter : le document a été rédigé en français, sans répondre aux questions et sans offre de prix. »[15] Et tant pis si les Français expliquent cette légèreté par un refus de respecter une RfGP présentée comme taillée sur mesure pour l’offre américaine : les effets en termes de communication ont été désastreux et exploitées par un certain nombre de partisans déclarés, ou non, du F-35.

A l’Ouest, rien de nouveau

Alors que la Belgique, comme de nombreux pays européens avant elle, semble être prête à se tourner vers le F-35, on ne peut que regretter que ce choix se fasse en vertu de logiques diplomatiques atlantiques alors même que l’achat d’Eurofighter ou de Rafale, respectueux des nécessités stratégiques et opérationnelles listées par Bruxelles, présenterait l’avantage d’envoyer un signal fort en faveur de l’Europe de la Défense sans exiger de sacrifices particuliers de la part des finances belges. Cette volonté de ménager, si ce n’est de satisfaire l’allié et le partenaire américain au détriment de voisins immédiats, serait toutefois riche d’enseignements : elle démontrerait la valeur réelle des déclarations des uns et des autres en faveur de la défense européenne et l’influence que possède, sur notre continent, Washington et ses décideurs. Qu’une nation européenne, par souci d’efficacité, choisisse de consommer américain, cela peut se comprendre ; qu’elle le fasse en vertu d’intérêts diplomatiques court-termistes teintés de considérations politiques demeure une faute, pour la Belgique et pour l’Europe.

Article proposé par Hugo Decis, étudiant en Relations Internationales (IRIS Sup’). Vous pouvez suivre ses activités sur LinkedIn et Twitter.

[1] Conseil Européen, Réflexion politique sur l’avenir de l’Union européenne – Consilium Europa

[2] J.P Stroobants, La Belgique devra choisir entre trois candidats […] – Le Monde, 15 février 2018.

[3] H. Decis, L’Architecte des Divisions – Mercoeur, 25 juin 2017.

[4] E. Mitchell, US to sell F-35 fighter jets to Belgium in estimated $6.5B deal – The Hill, 19 janvier 2018.

[5] N. Gros-Verheyde, Les F-16 belges et néerlandais vont faire ciel unique – Bruxelles2, 21 décembre 2016.

[6] « Le programme F-35 et son coût sont hors de contrôle » – La Tribune, 13 décembre 2016.

[7] J. Henrotin, Conserver les F-16 belges six ans de plus ? Analyse et implications – Defense24 News, 20 mars 2018.

[8] J.D Merchet – Marc Chassillan : « Dans les guerres actuelles, il y a des chars partout », L’Opinion, 20 mars 2018.

[9] L. Lagneau – L’Eurofighter Typhoon a les faveurs du gouvernement allemand pour succéder au Tornado, Opex 360, 12 décembre 2017.

[10] L. Lagneau – La Cour des comptes allemande pointe le dérapage des coûts liés à l’avion Eurofighter, Opex 360, 02 mai 2014.

[11] M. Courtial, Joseph Henrotin : « La concurrence pour le remplacement des F-16 sera bien réelle » – DefenceBelgium, 12 mai 2017.

[12] J. Henrotin, Des Rafale pour la Belgique ? Une remise en perspective des récentes annonces – Arion24News, 1er août 2017.

[13] Dassault aviation renforce sa position face à Lockheed Martin et Eurofighter – DefenseAero, 15 février 2018.

[14] Remplacement des F-16: « L’offre française trop belle pour être vraie », selon le ministre de la Défense – La Libre, 27 décembre 2017.

[15] J. Henrotin, Avions de combat en Belgique : suicide commercial en Rafale ? – Arion24News, 1er octobre 2017.

 

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