La Nouvelle-Calédonie face à l’Histoire (6/8)
Chapitre 6 – La Nouvelle-Calédonie, clé de l’influence française dans le Pacifique océanien ?
Le 5 mai dernier, le Président Emmanuel Macron s’est déclaré conscient du « basculement profond que le Pacifique océanien est en train de vivre ». Il souhaite donc placer la zone « Indopacifique au cœur du projet français » afin de saisir toutes les « opportunités » de s’inscrire dans l’actuel développement régional. Cette présence française se matérialiserait au travers d’un « axe Paris – New Delhi – Canberra qui se prolonge de Papeete à Nouméa et à travers tous nos territoires » pour « construire, sur le plan géopolitique, la neutralité de cet espace indopacifique » (1) . D’enthousiastes déclarations qui, à quelques mois du référendum d’auto-détermination, rappellent tout l’intérêt que Paris porte au Pacifique océanien et aux quelques 700 000 français qui y résident.
Candides sont ceux qui placent trop d’espoir en ces déclarations. Le simple emploi du très anglo-saxon concept « Indopacifique » pour définir les limites de l’action française dans la région résonne déjà comme un aveu de faiblesse. Cette définition géographique prête à confusion. Comment réfléchir une action efficiente dans un espace si large ? Peut-on réellement conjuguer les problématiques de terrorisme de la Corne de l’Afrique avec les revendications territoriales d’Asie du Sud-Est ou les conséquences pressantes du changement climatique en Micronésie ? La diplomatie française manque-t-elle à ce point de moyens pour faire reposer son action sur un concept si large qu’il risque de nier les spécificités propres de ses collectivités territoriales ? À vouloir penser au travers d’un spectre aussi large, la France ne risque-t-elle pas de manquer les signaux faibles qui fondent les grandes (r)évolutions de cette région ? Le Pacifique océanien répond à des impératifs singuliers, dont certains requièrent des réponses immédiates comme les défis posés par la croissance de l’influence chinoise, l’urgence de lutter contre le réchauffement climatique ou encore l’obligation d’organiser une exploitation durable des ressources halieutiques. Ces enjeux appellent une action régionale dans laquelle la France doit prendre toutes ses responsabilités. Plus que jamais, Paris doit s’appuyer sur la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna pour porter la vision du Quai d’Orsay dans cette région du monde.
Dans cet investissement français dans le Pacifique océanien, Nouméa tient un rôle central. D’abord parce que la Nouvelle-Calédonie est le territoire français le plus grand de la région (2), le plus riche et le mieux positionné. Proche des deux moteurs économiques que sont l’Australie et la Nouvelle-Zélande, elle est sur un fuseau horaire stratégique qui lui permet d’interagir à l’heure asiatique (3). Ensuite, parce qu’appartenant à l’arc mélanésien, la Nouvelle-Calédonie partage une identité ethnique avec les leaders diplomatiques des Petit Etats Insulaires du Pacifique -PICs- (4), que sont les Fidji et la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
La Nouvelle-Calédonie est également l’épicentre régional des activités militaires et diplomatiques françaises. Les Forces Armées de Nouvelle-Calédonie constituent la présence militaire française la plus importante du Pacifique océanien (5). C’est notamment de la base navale de Chaleix, à Nouméa, que rayonnent les bâtiments français qui apportent leur soutien aux PICs lors de catastrophes naturelles – dans le cadre d’accords internationaux comme l’Accord FRANZ (6) – ou surveillent la zone économique exclusive (ZEE) immense de la Nouvelle-Calédonie (7) . Nouméa accueille aussi, depuis 1947, le siège de la CP – Communauté du Pacifique (8) : fondée par la France, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale, elle a pour but de développer les compétences techniques, professionnelles, scientifiques et les capacités de recherche, de planification et de gestion des 22 États et territoires insulaires du Pacifique.
Au cœur d’un Pacifique océanien en pleine mutation, appelé à devenir le nouveau centre du monde, la Nouvelle-Calédonie dispose de nombreuses compétences et opportunités pour devenir plus qu’un formidable relai de la présence française. Tandis que ses voisins fidjiens, ni-vanuatu ou papous manquent de « poids » pour s’imposer dans une zone où s’affrontent des puissances qui les dépassent, la Nouvelle-Calédonie, sous l’égide de la République française, aurait toute légitimité à porter un message diplomatique indépendant et novateur.
Alors que les intérêts de Paris souffrent de leur insularité, Nouméa reste sans nul doute le relai le plus efficace pour magnifier la diplomatie française dans la région. Reste aux Néocalédoniens à prendre toutes leurs responsabilités et au Quai d’Orsay d’avoir définitivement confiance en leur capacité à porter haut la diplomatie du Pacifique océanien.
Bastien VANDENDYCK
1. Discours du Président de la République, Emmanuel Macron, sur la Nouvelle-Calédonie, à Nouméa le 05 mai 2018.
2. En superficie terrestre (Nouvelle-Calédonie 18 575 km2 : ; Polynésie Française : 4 200 km2 ; Wallis-et-Futuna : 140 km2).
3. À une heure des centres de décisions australiens et néo-zélandais, deux de Tokyo et trois de Pékin.
4. Pacific Island Countries.
5. 1 800 soldats mobilisés.
6. Accord tripartite de coopération signé le 22 décembre 1992 à Wellington entre la France, l’Australie et la Nouvelle-Zélande dans l’optique de coordonner et de rationaliser l’aide civile et militaire aux États et territoires du Pacifique insulaire victimes de catastrophes naturelles. Pour la France, une structure de veille est ainsi maintenue en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie sous l’autorité des hauts commissaires dans le but d’intervenir le plus rapidement possible. Longtemps mis en sommeil en raison du refroidissement des relations franco-néo-zélandaises et franco- australiennes à la suite de la reprise des essais nucléaires français de 1995, cet accord a été réactivé depuis 2000. Plusieurs interventions ont ainsi pu avoir lieu : aux Tonga (cyclone Waka) en décembre 2001, à Niue (cyclone Heta) en 2004, au Vanuatu (cyclone Ivy) en février 2004, aux Fidji (inondations) en avril 2004, aux îles Cook (cyclones Meena, Nancy, Olaf et Percy) en février 2005, aux îles Salomon (tsunami) en avril 2007 ou en Papouasie- Nouvelle-Guinée (inondations) en novembre 2007.
7. Environ 1 400 00 km2. Deuxième ZEE la plus importante de la France après la Polynésie française (4 770 000 km2) et devant l’archipel Crozet (574 000 km2).
8. À l’origine Commission du Pacifique Sud.