L’eau, nouveau paradigme de la géopolitique du XXIème siècle (3/3)
Ressource naturelle essentielle à la vie, l’eau n’a jamais semblé aussi accessible et abondante qu’aujourd’hui. Ouvrir le robinet pour voir de l’eau couler est devenu un geste quotidien pour une grande partie de la population mondiale. Pourtant, celle-ci vient de plus en plus à manquer sur une planète que l’on sait bleue.
« Guerres de l’eau » : Mythe ou réalité ?
L’eau : facteur de conflits…
Au début des années 1990, l’on établit pour la première fois un lien entre sécurité et questions environnementales. La notion de « guerres de l’eau » sera d’ailleurs la première problématique à émerger. Certains experts – à l’instar de Thomas Homer-Dixon et de Peter Schwartz – voient dans cette ressource un facteur de conflits. Pour Homer-Dixon, “la compétition pour le contrôle des ressources naturelles déclinantes – à savoir les terres arables, l’eau ou encore la pêche – sont susceptibles d’alimenter des conflits armés, en étant des facteurs d’exacerbation de tensions déjà existantes entre États et territoires sur d’autres problématiques, qu’elles soient ethniques, religieuses ou sociales » [1].
Dans la même lignée, Schwartz considère que “des confrontations militaires sont plus susceptibles d’être désormais déclenchées par un besoin désespéré des ressources naturelles comme l’énergie, la nourriture et l’eau, que par des conflits autour de l’idéologie, de la religion ou de l’honneur national” [2].
… Ou outil de coopération ?
D’autres auteurs, plus sceptiques, – à l’instar d’Aaron Wolf – conçoivent l’eau comme une opportunité de coopération inter-étatiques. Il considère que « l’histoire des conflits armés liés à l’eau est moins dramatique que le laisserait croire la littérature sur les « guerres de l’eau ». (…) Il n’y jamais eu de guerres menées pour l’eau (…). Dans l’histoire moderne, seulement sept escarmouches mineures ont été menées au-dessus des eaux internationales – invariablement d’autres questions inter-dépendantes entraient aussi en ligne de compte. A l’inverse, plus de 3600 traités ont été signés dans le passé sur différents aspects concernant les aux internationales » [3].
Pour les premiers, les confrontations entre États sont de plus en plus à craindre car ils perçoivent en effet l’eau comme un véritable objet de souveraineté. L’accélération démographique, l’urbanisation sans précédente ou le réchauffement climatique accentuent d’autant plus ce risque. Pour les seconds, la guerre pour l’eau coûte trop cher pour qu’elle en vaille la peine. L’absence de conflits inter-étatiques autour de cette ressource dans le passé est aussi selon eux un gage de leur caractère improbable dans le futur.
Des répercussions multiples
Pourtant, même s’il est encore difficile aujourd’hui d’évaluer la possibilité d’une guerre pour l’eau dans le futur, force est de reconnaître que la ressource est d’ores et déjà un enjeu politique pour de nombreux gouvernements. C’est d’ailleurs sur ce point qu’Aaron Wolf – sans pour autant renier sa thèse – rejoint Thomas Homer-Dixon. Il déclare ainsi : “Si les guerres de l’eau sont sans doute un mythe, le lien entre l’eau et la stabilité politique ne l’est certainement pas”.
Instabilité politique
En Iran, l’origine des troubles politiques que connaît la République islamique depuis 2017 et la présidence de Ahmadinejad est parfois à chercher dans les pénuries d’eau, dont certaines régions sont victimes. En effet, les iraniens pointent souvent du doigt la gestion “incompétente et corrompue” de l’eau par les différents gouvernements révolutionnaires. Le pays fait constamment face à des conditions climatiques extrêmes, subissant un climat semi-aride et aride. Dans le même temps, l’on estime les précipitations en Iran entre 1/3 et 1/4 de la moyenne mondiale. Foreign Policy estime que « des millions d’Iraniens seront contraints de migrer vers des pays plus développés, notamment en Europe, si la crise de l’eau n’est pas résolue d’ici vingt à trente ans ».
- Catastrophes naturelles
Des inondations et d’importantes pénuries d’eau frappent aussi plusieurs grandes métropoles dont la population se comptent en dizaine de millions d’habitants. Le Cap en Afrique du Sud par exemple a frôlé en 2018 le « jour zéro« . Des villes comme Sao Paulo au Brésil ou Madras en Inde sont parfois maudits par les deux extrêmes en raison du dérèglement climatique. En effet, des inondations ou des crues meurtrières ont ravagé ces villes, après que celles-ci aient connu des périodes sans eau.
Au Mexique, un autre type de problème touche Mexico. La capitale pompe une telle quantité d’eau dans les réserves souterraines de la région que celle-ci est littéralement en train de s’effondrer sur elle-même du fait de la compression du sol (jusqu’à 23 cm/an à certains endroits). Des villes comme Melbourne, Londres, Pékin, Tokyo ou encore Barcelone feront face elles aussi à d’importantes pénuries d’eau dans les années à venir si leur consommation reste identique. Face à de telles situations, des transferts massifs de populations sont sérieusement à craindre… et les conflits qui en découlent également.
Sources
– Frédéric Lasserre, « L’eau entre guerre et paix : conflits hydrauliques et guerres de l’eau : un essai de modélisation», Revue internationale et stratégique n°66, 105 à 118
– Christine Ockrent, “Le siècle de l’or bleu», France culture
Notes
[1] Thomas Homer-Dixon, Environment scarcity and violence, Princeton University Press, 1999
[2] Peter Schwartz, An abrupt climate change scenario and its implication for US National security, 2003
[3] « The actual history of armed water conflict is somewhat less dramatic than the “water wars” literature would lead one to believe (…) As near as we can find, there has never been a single war fought over water (…) In modern history, only seven minor skirmishes have been waged over international waters – invariably other inter-related issues also factor in. Conversely, over 3600 treaties have been signed historically over different aspect of international waters.”, Aaron T. Wolf, Conflict and cooperation along international waterway, Water Policy, 1998