Conférence : M. FOUCHER : Le retour des frontières
En synergie avec Diploweb.com, voici la conférence du géographe et ambassadeur Michel Foucher. Il présente une vaste réflexion sur « Le retour des frontières », titre d’un ouvrage qu’il a publié chez CNRS éditions (2016). Signalons qu’il vient de publier un remarquable numéro de la Documentation photographique : « Les frontières », CNRS éditions 2020 (n°8133). C’est à cette occasion, et en soutien aux enseignants de spécialité HGGSP que Diploweb met en ligne cette vidéo d’une conférence conduite en 2016, en partenariat avec GEM.
Extrait du résumé par Joséphine Boucher pour Diploweb.com
Qu’est-ce qu’une frontière ? Lorsqu’elle est internationale, c’est une institution. Bien plus qu’une simple ligne de sable ou une crête de montagne, elle fait l’objet de traités et est soumise à un processus défini, du dépôt du dossier du traité de délimitation aux Nations Unies aux démarcations sur le terrain par des commissions dédiées. Il s’agit donc d’une véritable institution du droit international qui sert à définir et à délimiter le périmètre de l’exercice d’une souveraineté étatique. À la frontière s’exercent de multiples fonctions de souveraineté, juridiques, régaliennes, fiscales, douanières, qu’elles soient réelles ou plus symboliques. C’est l’un des paramètres de l’identité collective et de la citoyenneté, et qui permet au plan symbolique de distinguer le dedans et le dehors, lesquels sont des éléments constitutifs de toute communauté humaine. Il y a là deux aspects fondamentaux de la question de la frontière, à savoir la question des limites et celle de l’attachement, de l’appartenance symbolique à une collectivité. C’est d’ailleurs l’une des difficultés de ce malaise de la construction européenne comme acteur stratégique et politique, suite à ce refus de définition. L’Union européenne n’est en effet pas capable de politique extérieure car elle n’a jamais défini la limite entre le dedans et le dehors, sa seule politique extérieure étant celle de l’élargissement.
Après avoir défini ce qui fait une frontière, qu’en est-il désormais du retour des frontières ? Il s’agit en fait d’une nouvelle visibilité de ces tracés, même si, rappelons-le, l’invisibilité n’est pas synonyme d’effacement. À cette étape, il convient de déconstruire les idées fausses qui ont pu être émises sur les frontières. La première est celle du discours d’un monde sans frontières permis par une globalisation néo-libérale. Toute régulation serait un obstacle, la politique et les Etats seraient des freins à la bonne marche de l’économie, et au gouvernement se substituerait la gouvernance, c’est-à-dire gouverner sans politique. Or aujourd’hui, les phénomènes de dé-mondialisation et le retour d’un certain protectionnisme témoignent d’une volonté de se protéger, qui n’est pas forcément, rappelons-le, un cloisonnement. L’autre dérive sur la problématique frontalière était d’assimiler la question des frontières à la barrière, au mur, en particulier anti-migratoire. Il est important de ne pas confondre migrations et frontières.
La deuxième partie de cette conférence a été construite pour aborder l’actualité de ces questions de frontières via une chronique et des exemples de diverses régions du monde, afin de repérer à partir de différentes sources ce qu’il s’y passe concrètement, pour en faire une analyse et en tirer des enseignements plus généraux sur la réaffirmation des frontières. (…) Enfin, il convient de s’intéresser plus particulièrement à la problématique du voisinage européen, et ce aussi au-delà des questions migratoires. Aucune autre région du monde n’a un tel environnement stratégique. En effet, en cartographiant précisément les conflits sur la base objective des rapports réguliers de l’ « International Crisis Group », il apparaît que sur les 75 conflits, crises graves et guerres ouvertes répertoriées par l’ONG dans le monde au printemps 2016, 85% se trouvent dans un rayon de 3 à 6 h de vol de Paris. Les questions frontalières jouent de fait à 3 échelles : nationale, infra-nationale et régionale. (…)
Pour conclure, ce retour des frontières dans les faits et dans les consciences est une bonne nouvelle, à condition d’en user avec discernement. Si abolir des frontières revient à faire disparaître des Etats, les franchir aisément ne les annule pas. La frontière, invention humaine, est aussi un refuge et une ressource pour qui vit des différences et peut élaborer des micro-stratégies. Le retour des frontières est certes un phénomène avéré aujourd’hui, mais il ne signifie pas pour autant le repli sur soi ; la bonne frontière est la frontière agréée ouverte, et pas le refus du monde ni la négation ultra ou néo-libérale de l’importance symbolique et réelle des frontières. Où placer le curseur entre solidarité et responsabilité ? Entre liberté et sécurité ? Ce sont là de véritables difficultés et questions à se poser actuellement. Donnée politique inscrite dans l’espace, la frontière est donc un sujet véritablement et éminemment politique.