L’Universalisme européen : de la colonisation au droit d’ingérence – Immanuel Wallerstein – Fiche de lecture
Demopolis, New York, 2006, 137 pages
AUTEUR : Immanuel Wallerstein
Sociologue et historien américain, président de l’Association Internationale de Sociologie et directeur d’études à l’EHESS, Immanuel Wallerstein est un expert des affaires postcoloniales africaines et un théoricien de l’économie mondiale capitaliste. Sa très précoce critique du capitalisme mondial et son soutien aux « mouvements anti-systémiques » témoignent de son engagement au sein du mouvement altermondialiste.
OBJET :
Ce livre, qui est un essai sur la question fondamentale du droit d’ingérence politique, est une lecture originale des fondements de la nouvelle politique impériale et un plaidoyer pour un véritable universalisme au service du bien commun.
PROBLEMATIQUE :
1) La transformation du monde en une lutte entre les forces du Bien et du Mal
Pour I. Wallerstein, une telle représentation du monde est communément acceptée, et « nous mettons très peu en question l’importance d’un tel combat ; nous restons rarement dans le doute quant à ce qui pourrait incarner ce Mal ». L’universalisme justifie, dès lors, les politiques des dirigeants du monde européen, politiques censées refléter des valeurs et vérités universelles.
Wallerstein distingue trois variantes de l’universalisme :
– l’universalisme européen, qui correspond à la défense des droits de l’homme et de la démocratie, soit un devoir moral de défendre les opprimés ;
– l’universalisme universel, qui est la théorie huntingtonienne du « Choc des Civilisations », supposant la supériorité de la civilisation occidentale (avec l’opposition Barbares/Civilisés) ;
– l’universalisme scientifique, qui porte le primat des vérités scientifiques du marché et en déduit que le néolibéralisme est la seule voie possible.
2) Promouvoir un « universalisme universel » :
Au-delà de l’analyse, l’auteur se propose de repenser les voies à emprunter pour atteindre un « universalisme authentique, un universalisme universel ». L’enjeu de la lutte idéologique entre l’universalisme européen et l’universalisme universel est majeur car la structure du système monde à venir en découle.
Partant de l’universalisme européen, qui est par essence inégalitaire et au service des intérêts des plus puissants, Wallerstein dénonce les arguments de ses défenseurs, fallacieusement employés. L’ensemble de la réflexion développée dans cet ouvrage, au-delà du simple historique ou de la simple dénonciation, s’attache à rechercher les fondements d’un universalisme véritablement universel.
THÈSE :
Pourquoi faut-il et comment peut-on atteindre un universalisme universel ? « L’une des alternatives possibles serait l’épanouissement d’une multiplicité d’universalismes qui formeraient un réseau d’universalismes universels ».
RESUME :
I- A qui revient le droit d’ingérence ? Valeurs universelles contre la barbarie
L’expansion européenne « aurait été porteuse de quelque chose que l’on désigne, selon les cas, par les vocables de « civilisation », « croissance économique » et/ou « progrès » ». Ces prétendues valeurs universelles, dérivant d’un contexte exclusivement européen, s’enracinent dans les principes de « droit naturel » et ont été décrétées bénéfiques pour l’humanité. Par exemple, si la fin du colonialisme et l’émergence des indépendances auraient dû sonner le glas de l’idée d’ingérence, les anciennes colonies devenues indépendantes sont à nouveau assujetties. Le recours à la justification éthique permet de légitimer, dans ce cas, un droit dont s’empare le plus fort (doctrine du droit naturel). « Ce dispositif justifie simultanément la défense des droits fondamentaux des ‘innocents’ et l’exploitation matérielle par les plus puissants ».
II- Comment peut-on être persan ? Le particularisme essentialiste
L’universalisme européen promeut les droits de l’homme tout en poursuivant des intérêts économiques visant à exploiter ceux qu’il prétend protéger. De plus, les acteurs européens dominants cherchent à imposer au « système-monde » une évaluation européanocentrée des civilisations. Wallerstein souligne ainsi la nécessité, au contraire, d’inscrire l’ensemble des particularismes locaux dans une globalité afin de transcender tout clivage stérile avec l’Orient. « Il nous est ainsi demandé d’universaliser nos particularismes et de particulariser nos universels, en une espèce de chassé-croisé dialectique ininterrompu, qui nous permettra d’aboutir à de nouveaux métissages, à de nouvelles synthèses ».
III- Comment pouvons-nous connaître la vérité ? L’universalisme européen
Tandis que l’Orientalisme, selon Wallerstein, recherche le Beau et le Bien, l’Universalisme scientifique s’attacherait à la poursuite de la Vérité : ce dernier privilégierait le progrès technique plutôt que le progrès social comme mode de résolution des conflits. L’auteur insiste alors sur l’importance du Savoir qui permettrait aux puissants de rayonner à l’échelle mondiale (grâce aux universités, en particulier, en tant que lieu de production et de reproduction des idées). « Je crois que l’évolution des structures du savoir est une composante capitale de l’évolution du système-monde moderne ». De plus, le système capitaliste apparait aussi comme composante essentielle des nouveaux rapports de supériorité.
IV- Le pouvoir des idées, les idées du pouvoir – Donner et recevoir
« Peut-il exister un universalisme qui ne soit pas seulement européen mais authentiquement universel ? » Quels sont alors les paramètres permettant l’accession à cet universalisme. Il s’agirait d’abord :
– de considérer l’universalisme dans une perspective historique.
– de transformer l’universalisme européanocentré en un universalisme pluriel, non hiérarchisé.
– de considérer la nécessité d’une remise en cause du système capitaliste en tant que facteur de reproduction des inégalités.
ANALYSE :
Si I. Wallerstein prône une reconsidération du système idéologique qui régit le monde, ce dernier n’utilise qu’un langage conceptuel : comment favoriser un universalisme pluriel, comment renverser un ordre établi et régi par des conflits d’intérêts ? L’auteur peine à resituer son discours dans un contexte concret en ne proposant qu’une conduite alternative vague.
Les acteurs concernés par le concept d’universalisme européen ne sont qu’à peine évoqués (on peut notamment s’intéresser au cas des Etats-Unis : les acteurs de la colonisation sont-ils vraiment toujours les mêmes que ceux jouant du droit d’ingérence ?). Ces ensembles ne sont pas clairement identifiés.
Wallerstein s’intéresse aussi au statut des ONG (Organisations Non Gouvernementales) en tant qu’instances palliant le déficit de considération autour de la question des Droits de l’Homme. Ces mêmes ONG ne réclament-elles pourtant pas une action des Etats occidentaux au nom du droit d’ingérence et de la nécessité de porter secours aux déshérités ? Cela semble entrer en contradiction avec le développement précédent.