Que peut-on attendre d’un régime qui terrorise ses opposants ? Entretien avec Valentin KOUASSI, président National de la JPDCI et figure de la crise pré-électorale ivoirienne.
Loup VIALLET : Il y a deux semaines, le président Ouattara a annoncé qu’il serait candidat pour un troisième mandat présidentiel, contrairement à son engagement pris il y a un an de ne pas se représenter. Que s’est-il passé en Côte d’Ivoire depuis cette déclaration du 6 août dernier ?
Valentin KOUASSI : Lorsque le 05 mars 2020 Monsieur Alassane Ouattara pensait se jouer de la confiance innocente des ivoiriens en annonçant qu’il ne briguerait plus un autre mandat, nous, les membres de l’opposition, nous avions reçu cette annonce comme un non-événement car notre Constitution est parfaitement claire sur la question : la loi fondamentale ivoirienne ne prévoit pas de troisième mandat. Nous avions eu raison de ne pas croire à cette déclaration qui s’est révélée être un mensonge le 06 aout 2020 dernier. Tout le monde sait désormais qu’Alassane Ouattara a menti et qu’il est prêt à violer notre État de droit pour se maintenir au pouvoir. Même en Espagne la monarchie est plus républicaine que le régime autoritaire de Ouattara en Côte d’Ivoire !
En ce qui concerne les événements qui se sont produits depuis le 06 aout 2020, une fois la déclaration faite, le peuple ivoirien s’est spontanément levé pour manifester dans les rues d’Abidjan et dans les villes de l’intérieur du pays. Je voudrais préciser que ce même jour deux de nos militants ont été arrêté par l’armée devant le siège de mon parti le PDCI-RDA de façon arbitraire, en dehors de tout cadre légal. Pire : depuis cette nuit le siège de mon parti est encerclé et constamment guetté par des agents de la police et de la gendarmerie, pour des raisons que nous ignorons.
Quant à la société civile, elle a non seulement dénoncé cette forfaiture mais elle a également lancé un appel à toutes les forces vives de la Nation pour prendre part à une grande marche éclatée et pacifique le 13 aout 2020 sur toute l’étendue du territoire national afin de faire reculer Monsieur Ouattara dans ce projet funeste de violation de la constitution. Suite à cela, la jeunesse de l’opposition, que nous dirigeons, a invité toute la jeunesse ivoirienne à prendre massivement part à cette marche pacifique. Mais le pouvoir y a opposé une répression sanglante en infiltrant des miliciens pourvus d’armes blanches parmi les forces de l’ordre. Mes compatriotes ont alors subi une violence inouïe. Depuis cette date, toute tentative de manifestation pacifique est fortement réprimée par les forces de l’ordre, même la marche des femmes de l’opposition n’a pas échappé à cette furie le 21 août dernier. Quatre militantes ont été arrêtées à Abidjan, nous sommes sans nouvelles d’elles. Des dizaines d’autres ont été rouées de coups et terrorisées partout dans le pays.
Loup VIALLET : Êtes-vous allé manifester ? Sous quel mot d’ordre ? Et comment cela s’est-il
passé précisément ?
Valentin KOUASSI : L’article 20 de la constitution ivoirienne donne le droit aux citoyens de participer à des marches pacifiques car cela relève du droit à la liberté d’expression. C’est un principe fondamental de notre démocratie. Alors comme tous les citoyens soucieux de protéger les fondements de notre démocratie, j’ai également participé à la marche pacifique.
Malheureusement, face à cet acte républicain le pouvoir à répondu par une telle violence qu’aujourd’hui nous pleurons des pertes en vies humaines parmi nos frères, des blessés graves et d’énormes dégâts matériels, des immeubles et des biens publics brûlés, des maquis saccagés. Le bilan est lourd et grave. C’est une véritable honte pour notre pays. Il faut noter que cette crise a déjà fait plus 15 morts dont 5 à Daoukro et 150 blessés.
Je fais moi-même l’objet de toutes sortes de menaces, même des menaces de mort. Quelques jours avant la grande marche des femmes de l’opposition, le ministre Adjoumani, porte-parole du parti présidentiel, a déclaré lors d’un débat sur la NCI que le président de la Jeunesse du PDCI se cachait quelque part à Divo. Or, c’est de moi, Valentin Kouassi, dont il parlait. Dès ce moment, j’ai compris que j’étais devenu une cible et qu’il me fallait vivre en clandestinité. Lundi 24 août, le journaliste Chris Yapi a révélé que des miliciens lourdement armés avaient fait une descente sur Divo pour m’assassiner en saccageant tout sur leur passage. Mais ils sont repartis sans avoir accompli leur mission : ils ne me trouveront pas. Aujourd’hui, je ne peux pas vous dire où je suis car cette information pourrait tomber entre les mains des tueurs, et je prends l’opinion à témoin, car la liberté mérite qu’on se batte pour elle. Que peut-on attendre d’un régime qui terrorise ainsi ses opposants ? Rien de bon.
Loup VIALLET : Comment allez-vous continuer à battre campagne pour votre candidat et pour vos idées ?
Valentin KOUASSI : Il faut tenir compte du contexte pour trouver la réponse adaptée. Manifestement, le président Ouattara est en train de tenter un coup d’État pour se maintenir au pouvoir au-delà des limites prévues par notre Constitution, qui n’autorise pas de troisième mandat consécutif. Ce point n’a jamais varié, de la réforme de 2000 à celle de 2016. Mais aujourd’hui le camp présidentiel est même prêt à nous faire croire qu’après avoir exercé ses deux premiers mandats sous la Deuxième République, Alassane Ouattara allait désormais inaugurer son premier mandat sous la Troisième République ! Concourir après deux mandats à l’élection présidentielle, cela revient à en briguer un troisième. Deux plus un égale trois, pas un !
Au PDCI-RDA notre Candidat est Son Excellence Henri Konan Bédié. Contrairement au président-candidat Ouattara, notre candidat remplit toutes les conditions constitutionnelles, il a l’expérience et la légitimité dont la Côte d’Ivoire a besoin en ce moment à la tête de son État. A ce titre une équipe de campagne est en train d’être mise sur pied. Elle est dirigée par le Secrétaire Exécutif en chef du PDCI, le Professeur Maurice Kakou Guikahué, qui a aussi été investi par le Candidat du parti comme Directeur de Campagne. Par conséquent nous attendons toute la stratégie de campagne pour se lancer véritablement malgré les menaces de mort du régime. En ce qui nous concerne, nous attendons les directives de notre hiérarchie. tout cela doit se faire dans le respect de la constitution et de la démocratie.
Loup VIALLET : Quel est l’état de vos liens actuels avec les partis de l’opposition, qui sont aussi des formations concurrentes au PDCI-RDA pour le premier tour du scrutin présidentiel ?
Valentin KOUASSI : L’appel du 11 aout 2020 répond à votre question. Aujourd’hui, l’opposition est unie en une seule force pour faire respecter la Constitution et faire respecter l’État de droit. Avant de participer à une compétition tous les acteurs doivent être assurés qu’elle ne sera pas biaisée et que les règles du jeu seront respectées. Au demeurant s’il apparaît que cet exercice démocratique ne peut pas être mis en œuvre librement, ou si un des acteurs n’entend pas respecter les règles je crois que cela va de soit que les autres s’interposent afin de faire respecter les règles. C’est ce que nous connaissons aujourd’hui, l’opposition est unie et à cet titre nous avons de bonnes relations avec toutes les autres formations politiques de l’opposition. Une fois que le problème qui nous unit aujourd’hui sera réglé, je pense qu’on pourra à ce moment aborder la question de concurrence. Il faut pouvoir aborder les questions par étape. Mais je puis vous assurer que c’est une question qui se gère en ce moment même au plus haut niveau de nos directions.
Loup VIALLET : Quelles actions du pouvoir pourraient-elles contribuer à apaiser les tensions ?
Valentin KOUASSI : Que le chef de l’État respecte la constitution et s’ouvre au dialogue avec toutes les forces vives de la nation afin de créer un climat de paix aussi bien pour les Ivoiriens que pour nos voisins et nos alliés.
Loup VIALLET : Le scrutin présidentiel pourra-t-il se tenir le 31 octobre prochain ou la confiance politique est-elle déjà rompue ?
Valentin KOUASSI : C’est notre souhait mais pas à n’importe quel prix. Personne ne veut renouveler l’expérience de 2010. Pour l’heure, nous sommes encore à deux mois de l’élection et nous pensons que tout peut être réglé avant cette date. Nous au PDCI et avec l’opposition, nous n’allons pas accepter que notre pays sombre une fois de plus dans le chao. C’est d’ailleurs ce qui fait la quintessence de nos actions. Le Père de la Nation Félix Houphouët Boigny n’a eu de cesse à dire que « la paix n’est pas un vain mot mais c’est un comportement ». Que le pouvoir prennent conscience de ses responsabilités et qu’il soit sensible aux revendications du peuple ivoirien. Nous serons vigilants jusqu’au bout.
Loup VIALLET : Qu’attendez-vous des alliés de la Côte d’Ivoire en cette période troublée, en particulier si la crise politique s’intensifie et se transforme en guerre civile ?
Valentin KOUASSI : Nous refusons de penser à une éventuelle guerre civile, même si les pratiques du président Ouattara nous font penser que pour sa part, il est prêt à tout. Vous savez que la Côte d’Ivoire occupe une position cardinale dans la sous-région. Le scénario du pire doit être envisagé par nos alliés. La Côte d’Ivoire ne doit pas s’effondrer une nouvelle fois ni s’enfoncer dans la dictature et devenir ingouvernable, il y va de la stabilité de l’Afrique !