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Les “Chrétiens d’Orient” et la politique étrangère française, logique protectrice ou compassion condescendante ? (1/2)

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Véritable cheval de bataille dans la campagne présidentielle française, la défense des “Chrétiens d’Orient” est devenue un argument politique aussi bien à droite qu’à gauche. Outre François Fillon, qui s’est rendu au Kurdistan irakien en Juin 2016 (1), Emmanuel Macron a lui aussi repris cette thématique les 23 et 24 Janvier lors de sa rencontre avec le Premier Ministre Saad Hariri à Beyrouth, visitant au passage la cathédrale Saint George des grecs orthodoxes (2). Si on peut bel et bien parler de la défense de cette minorité comme un motif historique de la politique étrangère française (en témoignent les déclarations de Laurent Fabius au journal La Croix en Mars 2015), il semble nécessaire de comprendre les ressorts et intérêts d’une telle politique dont l’histoire a largement été écrite par diplomates et ecclésiastiques. Outre ces clarifications historiques, on ne saurait faire fi des limites de cette “protection”, orientalisant un sujet qui ne peut se lire qu’à travers le prisme du confessionnalisme et de l’exil.

Une situation désastreuse pour les “Chrétiens d’Orient”

Laurent Fabius interpellant l’ONU sur les chrétiens d’Orient le 28 Mars 2015

Si la détérioration de la situation des “Chrétiens d’Orient” est antérieure à la montée en puissance de Daesh, leur éclairage médiatique a décuplé avec la prise de Mossoul par le groupe néofondamentaliste durant l’été, provoquant la fuite des chrétiens irakiens vivant dans la ville et dans la plaine de Nivine, un peu plus au Nord. Paris n’a alors pas tardé à réagir annonçant sa volonté d’accueillir les chrétiens irakiens réfugiés souhaitant s’exiler. A l’image de Mossoul qui comptait auparavant entre 30 000 et 50 000 chrétiens, la minorité est en recul dans la région moyen orientale. L’Egypte, la Syrie ou encore Israël accusent depuis 2001 une perte de 20 à 30% (3) de leurs populations chrétiennes. Ils ne seraient aujourd’hui plus que 6 millions, le Liban se plaçant comme le pays où la communauté chrétienne est la plus importante (40%).

La diplomatie française tout comme sa classe politique dénoncent depuis plusieurs années le danger d’un tel mouvement d’exil, dénonciation s’expliquant également par la présence d’associations assyro-chaldéenne et syriaques dont l’Oeuvre d’Orient est la plus active. Dans une interview à La Croix en mai 2015 (4), Laurent Fabius a ainsi réaffirmé cet engagement historique insistant sur les “liens profonds” entretenus par la France avec les chrétiens d’Orient. A ces paroles ont répondu les actes : le Ministre des affaires étrangère a ainsi convoqué à la même période une réunion ministérielle à l’ONU visant à l’adoption d’une « charte d’action ». La France a notamment appelé à la création d’une commission internationale d’enquête sur la situation des chrétiens au Proche Orient et a par ailleurs réaffirmé sa volonté d’accueil annonçant la délivrance de 1500 visas supplémentaires.

Lire aussi : https://les-yeux-du-monde.fr/actualite/afrique-moyen-orient/19205-letat-islamique-bourreau-des-minorites

Des voix dissonantes aux solutions proposées ?

Si l’on peut saluer ces initiatives, des voix dissonantes issues de représentants de la minorité ont semblé néanmoins relativiser la pertinence de la position française. C’est ainsi qu’en avril 2016, une délégation menée par l’association Chredo (5) en visite au Moyen Orient, comptant par ailleurs des parlementaires français, européens, des journalistes et représentants d’ONG, reçoit des discours différents de la métropole et notamment sur la question de l’exil, vue comme la seule solution par les occidentaux et critiquée par les protagonistes concernés (6). Ces critiques font également écho à l’interview donnée par le patriarche des maronites, le cardinal Béchara Raï au Figaro, celui-ci affirmant en avril 2015 à un journaliste pour le moins surpris, que sa communauté n’est pas “une minorité qu’il faudrait protéger” (7). A ces voix discordantes brisant le son mélodieux de la métropole, on peut offrir plusieurs explications, l’une historique étant donnée l’instrumentalisation passée de cette volonté protectrice et l’autre plus contemporaine pointant la lecture orientaliste de la minorité dont l’appellation souffre d’une essentialisation et d’une confessionnalisation chroniques. Cette mise en perspective sera l’objet d’un second article.

1.http://www.ambafrance-iq.org/Francois-Fillon-en-deplacement-a-Erbil

2.http://www.lavie.fr/actualite/politique/emmanuel-macron-au-liban-chapelet-et-chretiens-d-orient-25-01-2017-79522_813.php

3.http://info.arte.tv/fr/lexode-des-chretiens-dorient-en-chiffres

4.http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Laurent-Fabius-La-protection-des-chretiens-d-Orient-est-une-tradition-pour-la-France-2015-03-26-1295826

5.Coordination des Chrétiens d’Orient en Danger

6.http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2016/05/chredo-middle-east-visit-christians-lebanon-syria-existance.html

7. http://www.lefigaro.fr/international/2015/04/03/01003-20150403ARTFIG00297-le-patriarche-rai-nous-ne-sommes-pas-une-minorite-qu-il-faudrait-proteger.php

Sources

-Articles de presse

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/03/11/en-syrie-l-exode-des-chretiens-assyriens-de-syrie-cibles-par-l-ei_4591289_3218.html

http://www.lemonde.fr/international/article/2015/04/19/l-etat-islamique-assassine-28-chretiens-en-libye_4618793_3210.html

http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/04/23/defendre-les-chretiens-contre-l-etat-islamique_4621516_3232.html

http://www.lefigaro.fr/international/2015/08/14/01003-20150814ARTFIG00077-cinq-ans-d-inquietude-pour-les-chretiens-d-orient.php

http://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Que-peut-faire-France-pour-chretiens-dOrient-2016-08-18-1200783107

http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/23/francois-fillon-synthetise-plusieurs-traditions-diplomatiques-de-la-droite-francaise_5036365_3232.html

http://www.lefigaro.fr/international/2016/12/25/01003-20161225ARTFIG00088-le-grand-exode-des-chretiens-du-moyen-orient.php

-Articles académiques

Antoine Sfeir, « Le XIXe siècle, début de l’hémorragie », Les Cahiers de l’Orient 2015/2 (N° 118), p. 27-30.

Fatiha Kaoues, « Chrétiens d’Orient dans la tourmente », Esprit 2011/5 (Mai),25-43.DOI 10.3917/espri.1105.0025

Frédéric Pichon, « Chrétiens de Syrie : les limites du modèle laïc arabe », Les Cahiers de l’Orient 2009/1 (N° 93), p. 77-80.

Joseph Yacoub, « La marginalisation des chrétiens d’Irak », Confluences Méditerranée 2008/3 (N°66), p. 83-98.DOI 10.3917/come.066.0083

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