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« Thawra ! » : la jeunesse arabe poursuit sa révolution (2/3)

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Depuis février 2019, la jeunesse arabe démontre sa soif de démocratie dans des pays qui n’ont pas connu leur “printemps” en 2011. En Algérie, au Liban et en Irak, les manifestants ont fait vaciller les pouvoirs solidement ancrés. Ces pays ont été durablement marqués par des épisodes de guerres civiles ravageuses. Les jeunes libanais, algériens et irakiens sont les héritiers directs de ces périodes. Ajoutées aux diverses répressions des “printemps”, ces histoires ont structuré la mobilisation actuelle.

En Irak, au Liban et en Algérie, l'héritage de la guerre civile a marqué les populations et les murs.
En Irak, au Liban et en Algérie, l’héritage de la guerre civile a marqué les populations et les murs.

Au Liban, en Algérie et en Irak, le traumatisme des guerres civiles

Guerre civile libanaise (1975-1990), décennie noire algérienne (1991-2002), affrontements confessionnels en Irak (2003-2013, 2014-2018) : tous ces événements ont profondément marqué les populations respectives de ces pays. Au bas mot, 800 000 personnes ont perdu la vie au cours de ces divers épisodes de guerre.

Islamistes, chiites, sunnites, chrétiens, forces militaires et paramilitaires, tous sont associés à des actes de terrorisme. Attentats, torture, disparitions forcées et exécution extrajudiciaires ont bercé l’actualité de ces pays. Toutes les forces, qui ont combattu dans un camp ou l’autre, ont vaincu, ou été vaincues, en usant des moyens les plus radicaux. Par sa nature, la guerre civile implique toute une population, en tant que victime et/ou bourreau. Les différentes générations ayant subi ces événements ont ainsi imposé aux sociétés renaissantes leur besoin de stabilité et sécurité en taisant leur expérience.

La guerre civile permet la création de nouveaux ordres sociaux, maîtrisés par les puissances combattantes. Ces ordres sociaux imposent un renouvellement des champs politique, économique ainsi qu’une économie de la violence. Les groupes qui ont su le mieux employer la violence, physique et symbolique, sont ceux qui ont saisi le pouvoir au sortir de la guerre. L’architecture sécuritaire qui entoure les jeunes d’Algérie, du Liban et d’Irak s’est construite et renforcée depuis la fin du XXe siècle. Elle est la continuité même de sociétés en voie de pacification à marche forcée.

Le pouvoir confisqué par les seigneurs de guerre

L’accord de Taëf conclu en 1989 pour mettre fin à quinze années de conflit au Liban organise la séparation des pouvoirs entre groupes miliciens et confessionnels. La “Concorde civile” algérienne adoptée en 1999 a entériné la prééminence d’une logique sécuritaire sur une logique politique.  En Irak, depuis l’adoption de la nouvelle Constitution en 2003, le pouvoir est monopolisé par les seigneurs de guerre chiites qui retournent à la vie politique à la cessation des combats.

Les partis au pouvoir se sont installés en jouant habilement d’une attitude ambivalente avec l’Etat. Ils ont tous, à différents degrés, adopté l’attitude de participation et de rejet des institutions. Comme le soulignait Elizabeth Picard, “aucune des anciennes milices n’a proposé de projet politique qui marque une rupture radicale avec la lutte armée”. Cette observation relative au Liban s’est révélée également correcte en Algérie et en Irak. En ce sens, le temps de la guerre a modelé celui de la paix. Il en a suivi les mêmes ruptures et conservé les mêmes fractures.

En l’absence de projet politique novateur, les vieilles gardes se sont ainsi confortées dans une dynamique d’auto-renforcement. Les tensions confessionnelles persistantes ont été la conséquence de la redistribution segmentée, autrement dit, de la corruption. Ces tensions sont le produit des fractures sociales, souvent préexistantes aux périodes de conflit, et entretenues depuis.

Concessions cosmétiques et résistances

L’une des principales surprises des révoltes de 2019 est la rapidité avec laquelle les manifestants ont obtenu des concessions de la part des autorités au pouvoir. L’on peut citer le retrait des principales dispositions contestées (candidature de Bouteflika, « taxe WhatsApp ») ou la démission des gouvernements algérien et libanais. Des projets de réformes ont vu le jour au Liban et en Irak. Ces victoires ont avant tout été des concessions de pure forme dans l’espoir de rétablir le statu quo ante.

Les réformes proposées à la hâte par les pouvoirs en place ne comportent aucun projet politique alternatif. En outre, les élites tentent de profiter du mouvement pour solder leurs comptes politiques. Cette action va à l’encontre de l’appel de la jeunesse arabe à un remplacement généralisé des élites. Anciens et actuels responsables politiques se posent en recours de systèmes conspués auxquels ils ont eux-mêmes participé. Les prises de position de Saad Hariri, Moqtada al-Sadr, du Hezbollah ou d’anciens ministres algériens en témoignent.

“Qu’ils dégagent tous”, ce slogan populaire rencontrent une forte opposition des divers groupes en place. Le Hezbollah libanais, la mouvance sadriste en Irak, ces mouvements longtemps protégés par leur aura de résistance sont affaiblis à leur base. Ces organisations se sont fondées grâce à un large soutien populaire. Aujourd’hui, tout leur prestige s’effrite sous leurs yeux. Les responsables au pouvoir dans les trois pays sont tentés par une reprise en main purement sécuritaire des protestations. Cette attitude porte le risque d’embrasements généralisés qui continuent de hanter toutes les mémoires. L’avenir seul dira quelle vision de l’intérêt national et populaire sera privilégiée.

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Arnaud FORAY

Diplômé en Sociologie et philosophie politique à l'Université Paris 7 ainsi qu'en Défense, sécurité et gestion de crise à l'institut IRIS Sup', Arnaud Foray est spécialisé en analyse politique et géopolitique sur la région Moyen-Orient, en particulier sur la pensée d'Ibn Khaldûn et les mouvements islamiques en Irak, au Liban et sur la Palestine.

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