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Trump et l’Amérique latine : entre inquiétude et opportunités

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La politique agressive en matière économique et migratoire menée par nouveau président des États-Unis – en particulier vers le Mexique – inquiète ses partenaires et pourrait redessiner la carte des alliances politiques sur le continent. Il s’agit désormais de savoir comment les différents pays latino-américains réagiront face aux mesures prises par Donald Trump.

Frontière entre les Etats-Unis (à gauche) et le Mexique (à droite) au niveau de la ville de Tijuana.

Avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, les relations entre les États-Unis et le reste du continent américain sont entrées dans une période d’incertitude. Pendant la campagne présidentielle, les positions de Trump ont grandement inquiété les dirigeants latino-américains, étant donné que pour la plupart ce pays était jusqu’alors un partenaire privilégié. Contrairement à ses prédécesseurs qui envisageaient les relations entre États-Unis et Amérique latine sous l’angle de la coopération, Trump les aborde seulement du point de vue du protectionnisme économique et de la lutte contre l’immigration.

Son projet-phare est évidemment la construction d’un mur sur l’ensemble de la frontière avec le Mexique1. Il compte d’ailleurs faire financer cette construction par ce dernier en le menaçant de mettre un terme à l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) ou de taxter les remesas, ces transferts d’argent des quelques 12 millions de Mexicains travaillant aux États-Unis vers leur familles restées de l’autre côté du Río Grande. Trump veut de cette manière faire pression sur le gouvernement d’Enrique Peña Nieto pour qu’il prenne en charge la construction du mur, dont le coût estimé est exorbitant : 8 milliards de dollars selon Donald Trump, 21 selon le Département de la Sécurité Nationale. Le nouveau président de la première puissance mondiale a déjà signé un décret augmentant les effectifs de sécurité à la frontière sud du pays de près de 15.000 hommes. Le nombre de migrants en provenance d’Amérique centrale devrait d’ailleurs déjà se réduire dans la mesure où Trump a confirmé le plan « Alliance pour la Prospérité » lancé par Obama à destination du Honduras, du Salvador et du Guatemala afin de renforcer leurs frontières internes. De plus, la fin de la loi accordant un statut privilégié aux exilés cubains devrait significativement réduire l’immigration en provenance de l’île caribéenne.

Une unité latino-américaine face à Trump ?

En matière économique, le protectionnisme économique de Trump s’est déjà fait remarqué par la sortie unilatérale des États-Unis du Partenariat Trans-Pacifique (PTP) et qui incluait plusieurs pays latino-américains comme le Mexique ou le Chili. Les tensions avec le Venezuela se sont également accrues à la suite de la demande de libération d’un opposant à Maduro et de sanctions à l’encontre du vice-président vénézuélien Tareck El Aissami. Trump souhaite substituer le multilatéralisme par des négociations bilatérales, ce qui lui permettrait d’apparaître en position de force : reste à déterminer comment les pays d’Amérique latine vont se positionner vis-à-vis de ce virage diplomatique étasunien. Cette rigidité affichée par Trump pourrait inciter plusieurs pays à chercher des partenariats avec d’autres puissances comme la Chine, l’Europe ou la Russie. Le Chili a ainsi convié la Chine et la Corée du Sud à discuter du PTP et l’idée d’un accord de libre-échange Mercosur-Union européenne – véritable serpent de mer depuis les années 1990 – renaît.

Au delà des seules questions économiques et migratoires, celle de l’intégration régionale latino-américaine est de nouveau à l’ordre du jour dans la mesure où les échanges intrarégionaux demeurent relativement faibles. Tout dépendra de la capacité des États à trouver un terrain d’entente, le Mexique ayant toujours été tiraillé entre le Nord et le Sud du continent et le leader naturel en Amérique du Sud – le Brésil – vivant une crise qui l’oblige à recentrer ses priorités vers sa politique intérieure. Néanmoins, l’arrivée de gouvernements libéraux au Brésil, en Argentine ou au Pérou pourrait permettre un rapprochement entre l’Alliance du Pacifique et du Mercosur, en dépit de la rivalité originelle entre les deux organisations. Le 6 février dernier, Michel Temer et Mauricio Macri ont invité le Mexique, leader de l’Alliance du Pacifique, à se rapprocher du Mercosur et Macri a assisté à un sommet de l’Alliance en tant qu’observateur.

De nombreux points demeurent cependant en suspend. Il n’est pas dit que les projets de Trump aboutissent, comme l’a démontré le blocage de son décret anti-immigration envers certains pays musulmans, d’autant que les élections de mi-mandant au Congrès pourraient limiter son action si les Démocrates venaient à en sortir vainqueurs. De plus, un rapprochement effectif entre l’Alliance du Pacifique et le Mercosur et encore loin d’être acté, étant donné la situation d’instabilité économique et politique que traversent plusieurs pays d’Amérique du Sud. En définitive, l’heure est davantage à l’expectative en Amérique, et une redéfinition des alliances stratégiques latino-américaine dépendra avant tout des mesures effectives prises par Donald Trump.

1Il faut rappeler qu’une barrière de 1200 kilomètres de long existe déjà entre les deux pays.

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Lucas MAUBERT

Doctorant en Histoire à l'Université de Tarapacá (Chili). Diplômé de l'IEP de Rennes et de l'Université Rennes 2. Rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis 2016.

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