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Rétrospective 2015 : Une Europe ou des nations en délitement ?

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Les revendications régionalistes voire indépendantistes n’ont pas manqué de faire leur retour cette année dans une Europe qui s’est construite à partir de nations faisant toutes plus ou moins face à une crise économique et institutionnelle. Longtemps considérés comme des mouvements marginaux et extrémistes, les régionalistes se sont de plus en plus politisés et adoucis pour parfois arriver en tête d’élections locales ou obtenir le droit d’organiser un référendum d’autodétermination. Ces revendications sont-elles dangereuses et déstabilisatrices pour l’Union Européenne ou, au contraire, affaiblissent le modèle de l’État-nation par l’intérieur ?

Des revendications économiques et identitaires…

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Caricature d’une Europe exclusivement régionale

L’année 2015 a été marquée par les revendications régionalistes à travers l’Europe et même au sein de la France malgré son modèle unitaire. Les élections régionales espagnoles et françaises du dernier trimestre 2015 ont propulsé en tête des partis politiques revendiquant respectivement l’indépendance de la Catalogne et de la Corse. Ceci s’étant ajouté à l’organisation du référendum portant sur l’autodétermination de l’Écosse en septembre 2014. Malgré l’échec de ce dernier, les bases sont posées et il n’est pas exclu qu’un nouveau référendum puisse être proposé à une population dont l’idée d’indépendance est aujourd’hui bien ancrée dans les esprits. Les revendications sont bien évidemment historiques et identitaires notamment pour la Corse, mais surtout économiques. Ainsi, les partisans du « oui » écossais prétendent pouvoir bénéficier d’un fort potentiel de richesse lié à l’exploitation du pétrole au large de la mer du Nord. Mais cela n’aurait peut-être pas suffi à stabiliser la nouvelle monnaie que comptent frapper les Écossais. La Catalogne, quant à elle, serait suffisamment capable, selon les indépendantistes, de prendre son destin entre ses mains, puisqu’elle représente un cinquième du PIB espagnol. Ces arguments économiques représentent une idée objective d’indépendance et non une simple volonté identitaire qui s’est (re)créée au fil des années par un sentiment d’abandon du modèle de l’État-nation.

Néanmoins, l’économie n’est pas une science exacte et cette volonté n’est pas sans incertitude et instabilité. Effectivement, les investisseurs, s’intéressant de près aux actualités politiques gages de stabilité économique, ont pris peur en cette année 2015. Voyant les partis indépendantistes prendre la tête de la région autonome, près de 700 entreprises – générant un chiffre d’affaires de 1,5 milliards d’euros –  ont quitté la province, en 2015, inquiètes de l’incertitude que font peser les indépendantistes. Le référendum catalan du 9 novembre 2014 n’a effectivement pas été reconnu par Madrid se basant sur la décision du Tribunal constitutionnel (TC) du 25 février 2015 qui a invalidé la loi permettant de l’organiser. Enfin, en France, pour la première fois de son histoire, des élections locales ont vu deux partis régionalistes voire indépendantistes rafler la majorité des sièges d’un Conseil régional (l’Assemblée Corse). Le président de l’Assemblée Corse fraichement élu, Jean-Guy Talamoni dans son discours d’intronisation exclusivement en langue corse n’a pas laissé l’ombre d’un doute sur ses intentions indépendantistes. Il estime en effet que le mouvement national corse « n’a jamais accepté de reconnaître le principe de la tutelle française sur la Corse ». Affaire à suivre.

Mais ce qui est commun dans ces mouvements indépendantistes qu’ils soient écossais, corse ou catalan, c’est que leur indépendance se fera « dans le cadre européen ».

…allant dans le sens d’un délitement des nations dans le cadre européen.

Que ce soit Artur Mas, président de la province catalane ou Jean-Guy Talamoni, leur volonté d’indépendance se fera au détriment de Madrid ou de Paris mais pas de celui de Bruxelles. L’indépendantiste catalan définissant son peuple comme « des défenseurs enthousiastes de la construction européenne » affirme qu’ils veulent « faire partie d’une Europe plus forte et plus unie, mais [ils veulent] en faire partie dans les mêmes conditions et le même respect que tous les autres États européens« . Du côté corse, pendant la campagne électorale, les nationalistes ont fait état de leur volonté de poser les bases juridiques d’une autonomie corse au sein de l’Europe en s’affranchissant des aides du gouvernement français pour se recentrer sur les atouts de l’Île de Beauté avec les fonds FEDER (Fonds européens de développement régional) venant directement de Bruxelles. Certains indépendantistes écossais pensaient même intégrer la zone euro pour garder une monnaie forte et stable en sortant de la livre sterling, car l’idée de frapper sa propre monnaie serait vecteur d’instabilité. Les velléités régionalistes qu’a connu l’année 2015 ne s’avèrent donc pas si dangereuses pour l’Union Européenne mais plutôt pour les États membres en tant que nation. D’ailleurs les institutions européennes poussent à la coopération transfrontalière entre deux ou plusieurs territoires d’États membres formant les eurorégions. Ces dernières ont une base juridique instituée par le règlement du 5 juillet 2006 créant les GECT (Groupement Européen de Coopération Transfrontalière) et sont constitués à l’initiative de ses membres – donc des régions – qui souhaitent instaurer une coopération transfrontalière appuyée. On peut y voir dans ce mécanisme une volonté de créer une meilleure cohésion et cohérence économique et sociale entre les territoires de l’Union Européenne, mais il s’agit bel et bien d’un délitement des Nations. La possibilité de transférer les compétences régionales à une eurorégion accroît leur autonomie et donne une base juridique et économique aux régionalistes pour mettre en place une nouvelle structure politique au sein de l’Union Européenne. Le réel danger pour les nations n’est pas tant la promotion d’une culture régionale synonyme de richesse du pays mais dans la libéralisation des structures administratives territoriales rentrant dans une concurrence d’attractivité économique entre-elles au sein d’une même nation. Néanmoins, il n’est pas certain que les États membres accepteraient de ratifier de nouvelles adhésions au sein de l’UE, requérant l’unanimité de ces derniers (article 49 du TUE). Ceci offre tout de même une marge de manœuvre aux pays européens pour éviter leur délitement.

L’année 2016 sera difficile pour l’Europe qui reste confrontée à une crise économique non résolue, à une crise migratoire naissante creusant de nouvelles fissures entres les États membres comme l’illustre le futur référendum britannique sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne ou encore le repli national que connaissent les pays de l’est, notamment la Hongrie. Néanmoins, il ne faut peut être pas sous-estimer les revendications régionales, surfant sur la vague de repli identitaire que traverse l’Europe, qui constituent aussi un danger pour les nations.

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