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Syrie, la stratégie des quatre mers

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En 2009, lors d’une conférence en Turquie, le président syrien Bachar al-Assad présentait sa doctrine énergétique baptisée : « stratégie des quatre mers ». Selon lui, la Syrie occupe une position géostratégique enviable au cœur du Moyen-Orient entre quatre espaces maritimes : la mer Caspienne (au nord-est), la mer Noire (au nord-ouest), la mer Méditerranée (à l’ouest) et le Golfe arabo-persique (au sud-est). L’idée du leader syrien est simple : il veut faire de la Syrie un hub énergétique, le nœud par lequel les pipelines de la région – la plus riche en hydrocarbures du monde – doivent passer pour alimenter le marché européen. Du fait de cette position stratégique et selon ses propres mots, la Syrie ne serait pas seulement le centre du Moyen-Orient mais le « centre du monde », le nouvel heartland.

Les deux projets concurrents de la stratégie des quatre mers chère à Bachar al-Assad
Les deux projets concurrents de la stratégie des quatre mers chère à Bachar al-Assad

À la suite de ce discours, le président Assad se rend dans les capitales des principaux États du Moyen-Orient afin de présenter la stratégie des quatre mers. Le Qatar et l’Arabie Saoudite sont intéressés par ce projet qui leur permettrait d’acheminer le gaz qatari via la Jordanie, la Syrie et la Turquie pour enfin rejoindre l’Europe. Le Qatar exporte déjà du gaz vers l’Europe mais il s’agit essentiellement de gaz liquéfié transporté par méthanier. Pour l’émirat, le projet d’un gazoduc via la Syrie offre des perspectives d’un partenariat de long terme avec les clients européens qui cherchent à diversifier leurs approvisionnements pour ne pas dépendre du gaz russe.

Néanmoins, Bachar al-Assad propose également un partenariat similaire à l’Irak et à l’Iran. La République islamique d’Iran est séduite par l’initiative et conçoit le projet d’Islamic Gas Pipeline partant des champs gaziers iraniens pour transiter par l’Irak et la Syrie avant de rejoindre les Etats européens, sans passer par la Turquie et encore moins par l’Arabie Saoudite et le Qatar. C’est finalement ce projet concurrent qui est choisi par la présidence syrienne durant l’été 2011 pour réaliser sa stratégie des quatre mers. À Doha et à Ryad, cette affaire est vécue comme une double trahison : d’une part, le choix de l’Islamic Gas Pipeline annihile de fait le projet d’un gazoduc en provenance du Qatar et de l’Arabie Saoudite et d’autre part, le projet choisi renforce la puissance ennemie des monarchies du Golfe dans la course au leadership régional : l’Iran.

La stratégie des quatre mers cristallise les alliances dans le conflit syrien

Très vite, à la suite de cette déconvenue, l’Arabie Saoudite et le Qatar en identifient le responsable qui devient dès lors l’homme à abattre : Bachar al-Assad. Les deux monarchies du Golfe vont intensifier leur soutien aux rebelles en les armant, les entraînant et les finançant. Dès 2012, ce soutien prend notamment la forme de l’opération « Bois de Sycomore » (Timber Sycamore), organisée avec la CIA pour armer les rebelles anti-Assad dont de nombreuses brigades djihadistes, affiliées à Al-Qaïda et à Daech. Cet axe dit « sunnite » est renforcé par la Turquie et la Jordanie, toutes deux lésées par le choix syrien de l’Islamic Gas Pipeline, la Turquie profitant du chaos syrien pour intensifier sa propre guerre contre les Kurdes.

En face, une alliance « chiite » de soutien au régime Assad prend forme. Elle regroupe sans surprise l’Iran, l’Irak et le Hezbollah libanais pour les soutiens régionaux mais surtout la Russie qui dispose de la base navale de Tartous sur la côte méditerranéenne de la Syrie. À y regarder de plus près, on distingue clairement que les frappes aériennes réalisées par les Russes et la coalition arabo-occidentale n’ont que peu souvent les mêmes cibles. La Russie cherche avant tout à maintenir le régime syrien en place en frappant massivement les rebelles mais visent également Daech dans une moindre mesure. En effet, Poutine a bien compris que Daech représente tant une menace pour Bachar al-Assad que pour l’unité de la Fédération de Russie dont les marges sud (Tchétchénie, Daghestan) sont contaminées par une montée de l’islamisme radical. Les raids aériens arabo-occidentaux, notamment américains, ciblent surtout les installations et les combattants de Daech.

Sans surdéterminer les rivalités de pouvoir en Syrie, les questions énergétiques et la géopolitique des tubes demeurent l’un des facteurs de polarisation stratégique au Moyen-Orient en général et dans le conflit syrien en particulier.

Carte Syrie YDM Rémy Sabathié

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Rémy SABATHIE

Secrétaire général et rédacteur géopolitique pour Les Yeux du Monde, Rémy Sabathié est analyste en stratégie internationale et en cybercriminalité. Il est diplômé de géopolitique, de géoéconomie et d’intelligence stratégique.

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