La Corée du Nord et la guerre en Ukraine : une réelle montée en puissance
Pour la première fois dans l’Histoire, des troupes nord-coréennes se battent en Europe contre une nation européenne. Symbole du rapprochement entre le « royaume ermite » et une Russie démographiquement affaiblie par trois années de guerre totale, cette aide se place dans un contexte de lente montée en puissance de l’Armée populaire de Corée (APC).

La lente modernisation de l’arsenal nord-coréen sous Kim Jong Un
Au sortir de la guerre de Corée, en 1953, les deux nations de la péninsule ont fait des choix différents en vue de reconstruire leurs capacités militaires. Si la Corée du Sud a su moderniser l’ensemble de ses armées et établir une base industrielle et technologique de défense (BITD) solide, la Corée du Nord a essentiellement misé sur le développement de ses capacités balistiques et nucléaires, laissant l’APC opérer des systèmes d’armes de conception soviétique et des aéronefs datant de la Guerre froide.
La modernisation de l’APC se manifeste très subtilement sous Kim Jong Un. Notamment avec l’apparition d’un nouveau char de combat lors d’une parade en 2020, le Cheonma-2, ainsi qu’un nouveau véhicule de transport de troupes. Des véhicules de nouvelle génération dont il n’est pas clair s’il s’agit de prototypes ou de véhicules déguisés pour donner l’illusion d’une réelle innovation.
Le tournant de 2024
Le soutien nord-coréen à la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine a été graduel. Diplomatique à l’origine, il s’est ensuite manifesté par l’envoi de munitions aux forces russes. À partir de novembre 2024, du matériel de guerre de l’APC fait son apparition sur le théâtre d’opération: quelques dizaines d’obusiers de conception soviétique, et fabrication coréenne, M-1989 Koksan et deux dizaines de lanceurs de missiles à courte portée M-1991 ont été vus, et, pour certains, détruits. Si la nationalité des opérateurs est incertaine, chacun y trouve son compte. Pour la Russie, cela représente des armes supplémentaires. Pour l’APC, c’est là l’occasion d’éprouver son matériel en conditions réelles.
Sur la même période, des soldats nord-coréens arrivent pour combattre officieusement aux côtés des forces russes dans l’oblast de Koursk. Par-delà les stéréotypes, les troupes envoyées se battre sont des militaires de métier. À bien des égards, il s’agit de soldats mieux entraînés, mieux disciplinés et plus jeunes. Davantage motivés idéologiquement que leurs alliés russes. Ces derniers sont souvent recrutés sur contrat, entraînés rapidement et appartenant à une tranche d’âge plus élevée. De fait, les Ukrainiens constatent que les soldats de l’APC se sont rapidement adaptés à la guerre des drones. Ils représentent un ennemi plus résilient que le soldat contractuel russe.
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Retour d’expérience (RETEX) et transferts de technologies
Au-delà de la vision trop simpliste d’une « piétaille étrangère » envoyée à la boucherie pour le régime russe, il est bien plus probable que cette force soit là, non pas pour épauler les forces russes mais, pour apprendre à leurs côtés. Pour se confronter à la réalité de la guerre contemporaine. S’adapter au champ de bataille transparent qui empêche la concentration de troupes. Innover face au règne nouveau des drones antipersonnels et antichars. Il semble d’ailleurs que l’initiative d’envoyer des soldats de l’APC se battre contre l’Ukraine provienne non pas de Moscou mais de Pyongyang.
À cet apprentissage par le RETEX s’ajoutent des transferts de technologies au bénéfice du royaume des Kim. En août 2024, des photos partagées par l’organisme de presse officiel de Corée du Nord présentent Kim Jong Un assistant à une démonstration de drones suicides. Bien que les drones aient été floutés, il est cependant aisé de reconnaître deux systèmes d’armes russes. D’une part, le Lancet de ZALA, pionnier du drone antichar et antistructure de série, capable de porter une charge explosive conséquente et possiblement capable de fonctionner en autonomie une fois lancé. D’autre part, le Geran-2, produit sous licence en Russie et destiné aux attaques en essaim. Il pourrait également s’agir d’une variante “leurre”, destiné à saturer la défense anti-aérienne adverse. Ce modèle peut ainsi endosser le rôle d’une première vague visant à consommer les munitions ennemies.
La Corée du Sud surveille de très près ces développements et le retour prochain de milliers de vétérans nord-coréens. Cependant, son armée n’a pas été engagée dans des conflits depuis la Guerre de Corée. Se pose donc la question d’un possible rééquilibrage du rapport de force dans la péninsule.