Présidentielle 2017 : France et Amérique Latine, l’histoire d’un éloignement
Hormis une polémique en fin de campagne sur le Venezuela, l’Amérique latine a été totalement absente dans les discours des candidats à la présidentielle française. Si cet éloignement politique a pu sauter aux yeux de certains pendant ces élections, il remonte en fait au tournant du XXe siècle et atteint son paroxysme.
On se souviendra longtemps de la campagne présidentielle française de 2017 : que ce soit par son déroulé (primaires, affaires), l’étroitesse des écarts entre les quatre leaders du premier tour ou la transformation politique qu’elle aura induit, cette campagne marquera une rupture dans l’histoire politique française. Mais elle est également intéressante à analyser du point de vue des relations avec l’Amérique latine, de par l’absence de cette dernière dans les discours des candidats. Il faut dire que la politique étrangère a été assez peu présente, et s’est focalisée sur trois sujets majeurs : l’Union Européenne, la Syrie et le positionnement de la France face à Trump et Poutine. L’Amérique latine aura brillé par son absence dans les débats, en dépit d’une actualité riche et parfois dramatique ces dernières semaines, entre les projets constitutionnels autoritaires au Venezuela et au Paraguay, les manifestations massives contre l’austérité et la corruption au Brésil notamment ou la relation du Mexique vis-à-vis des États-Unis. La seule mention – négative – à cette région du monde s’est produite en toute fin de campagne, lorsque Jean-Luc Mélenchon effectua sa percée dans les sondages et que sa proposition de faire rentrer la France dans l’ALBA suscita la polémique. Ces éléments traduisent donc la faible importance stratégique et politique accordée par la France à l’Amérique latine en ce début de XXIe siècle.
Influence culturelle sans retombées économiques et politiques
Déjà au XXIe siècle, alors que les mouvements migratoires d’Europe vers l’Amérique se développent, peu de français effectuent la traversée de l’Atlantique, par rapport aux Italiens (Uruguay, Argentine), aux Espagnols ou aux Allemands (Brésil, Chili). D’ailleurs, la migration française en Amérique va considérablement se réduire au début du XXe siècle jusqu’à devenir résiduelle à partir de la Première guerre mondiale. La présence de la France en Amérique du Sud tient davantage aux relations culturelles tissées par les élites locales avec l’État Français depuis l’Indépendance du continent. Ces relations vont s’incarner par une similitude dans la pensée politique et dans la culture, amenant Victor-Lucien Tapié à parler « d’imprégnation de France des élites1 » sud-américaines grâce à l’apprentissage du français par l’oligarchie, les voyages d’études à Paris des futurs dirigeants (qui vont intégrer le positivisme et le libéralisme à cette occasion), l’influence littéraire ou la diffusion du style de vie parisien parmi les classes aisées.
La France ne parviendra néanmoins pas à convertir cette influence culturelle en poids économique et politique dans la région : à cette époque elle privilégie son Empire colonial, laissant le champ-libre à une colonisation économique de l’Amérique du Sud par ses rivaux que sont l’Angleterre, l’Allemagne et, à partir de la Première guerre mondiale, les États-Unis. Ces pays vont massivement investir leurs capitaux dans l’économie locale, en particulier dans l’extraction minière et l’exploitation agricole. À titre d’exemple, en 1908, l’Amérique latine constituait 44,6% des investissements étrangers du Royaume-Uni et 42,3% pour les États-Unis, tandis que le pic des investissements français fut atteint en 1914 avec 18,4% …
On le voit donc, le fait que l’Amérique latine ne constitue pas une priorité stratégique ou économique pour la France n’est pas nouveau, bien que des progrès dans la relation France/Amérique latine aient été à noter pendant la présidence Hollande. Aujourd’hui, l’Amérique latine représente environ 2% des échanges commerciaux de la France (22.1 milliards d’euros en 2013). L’absence de cette région du monde dans les discours des candidats à la présidence de la République n’aura été que l’aboutissement d’un long processus, qui s’est accentué depuis le début de ce siècle. D’ailleurs, outre-Atlantique la France a perdu son statut de référence culturelle – bien que le regard des sociétés locales à son égard y demeure largement favorable – confirmant l’intuition de Denis Rolland selon laquelle « Des Révolutions d’Indépendance et de la naissance des États-nations américains à nos jours, l’Amérique Latine aurait progressivement changé de sphère culturelle, largué les amarres de l’Europe vieillissante ancrée, en particulier la France, dans un passé fastueux2 ». Reste à savoir si le nouveau président français, Emmanuel Macron, souhaitera et pourra, changer cet état de fait.
1 TAPIE, Victor Lucien (1945), Histoire de l’Amérique latine au XIXe siècle, Paris, p.264
2 ROLLAND, Denis (2000), La crise du modèle français : Marianne et l’Amérique Latine. Culture, politique et identité. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p.9