Birmanie : Où en est la liberté de la presse ?
Après avoir été détenus 511 jours, les journalistes, Wa Lone et Kyaw Soe Oo, ont enfin retrouvé le chemin de la liberté, mardi 7 mai. Si leur libération est incontestablement un soulagement, la situation de la liberté de la presse en Birmanie n’en reste pas moins très critique.
Libération des journalistes Wa Lone et Kyaw Soe Oo
Les deux journalistes de l’agence britannique Reuters, ont bénéficié d’une amnistie présidentielle, au nom de « l’intérêt national sur le long terme », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Zaw Htay. Pour avoir enquêté sur un massacre de Rohingyas commis par l’armée birmane, Wa Lone et Kyaw Soe Oo, ont tout deux été condamnés, en septembre 2018, à 7 ans d’emprisonnement.
Toutefois, leur arrestation, s’assimilant à un coup monté des autorités birmanes, remonte à décembre 2017. À cette époque, le gouvernement, lié à une armée très puissante, est sous les critiques de la communauté internationale et de nombreuses ONG de défense des droits de l’Homme. Le « nettoyage ethnique » envers la communauté Rohingya, comme le définit Andrew Gilmour, sous-secrétaire général chargé des droits de l’Homme de l’ONU, était au cœur de l’actualité.
Si la Birmanie a entamé depuis 2015, une transition démocratique, la censure de l’information est encore prépondérante. Wa Lone et Kyaw Soe Oo en ont ainsi fait les frais pour leur enquête. Malgré le tollé mondial, qui fit suite à leur arrestation, rien n’empêcha leur condamnation, au nom de la loi sur les secrets d’État, une loi datant de l’époque coloniale. Comme le rappelle Bruno Philip, journaliste au Monde, de nombreux défenseurs des droits de l’Homme, pointèrent l’inaction de Aung San Suu Kyi sur cette affaire. Prix Nobel de la paix en 1991, elle est désormais conseillère d’État, soit de facto Première ministre.
Un mois avant leur remise en liberté, Wa Lone et Kyaw Soe Oo, ont reçu le prestigieux prix de journalisme Pulitzer, récompensant leur travail d’investigation sur les exactions orchestrées par l’armée. Tous leurs recours ayant été rejetés, rien ne laissait présager leur libération. Cependant, comme le soulignent Richard Sargent et HlaHla Htay, journalistes à Arte, les législatives prévues en 2020 ont pu : « pousser l’exécutif à vouloir se débarrasser de ce dossier brûlant, qui empoisonnait ses relations sur la scène internationale ».
La liberté de la presse toujours menacée
Les réactions sont mitigées face à cette amnistie présidentielle. La communauté internationale, les médias et les ONG, s’accordent à saluer la décision du gouvernement birman. L’ONU y voit notamment : « Un pas vers une plus grande liberté de la presse et un signe de l’engagement du gouvernement en faveur de la transition démocratique en Birmanie ». L’ambassade de France à Dacca, au Bangladesh, réaffirme quant à elle : « son soutien à la transition démocratique en Birmanie et aux efforts du gouvernement civil en vue de faire progresser l’État de droit et le respect des droits de l’Homme. ».
Cependant, comme le rappelle l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF), cette remise en liberté comporte une part d’ambiguïté : « Le pouvoir civil fait in fine montre de sa clémence, mais la condamnation des journalistes sur le fond n’en reste pas moins confirmée, créant une dangereuse jurisprudence et permettant ainsi aux milieux militaires et nationalistes de préserver la face. ».
Selon le classement mondial de la liberté de la presse, établit par RSF, la Birmanie occupe aujourd’hui la 138ème place sur 180 pays. Si les journalistes, Wa Lone et Kyaw Soe Oo, ont bénéficié de l’« indulgence » de l’État birman, des centaines d’autres reporters et blogueurs restent emprisonnés ou menacés. La Birmanie a en effet gardé un arsenal législatif particulièrement répressif envers la liberté de la presse.
Comme le démontre le média L’Obs, deux lois sont couramment utilisées contre les journalistes. La loi sur les Télécommunications qui prévoit 2 ans d’emprisonnement pour : « diffamation par le biais d’un réseau de télécommunications ». Et la loi sur les secrets d’État, datant de l’époque coloniale britannique, dont Wa Lone et Kyaw Soe Oo ont été accusés.
Aux vues du non-respect des droits de l’Homme, telle que la liberté de la presse, la transition démocratique amorcée par la Birmanie semble paralysée. L’État tend davantage à retourner vers l’autoritarisme.