Le Liban s’enfonce toujours un peu plus dans la crise
Le Liban traverse une triple crise : politique, économique et sociale. La valeur de la monnaie chute et la population glisse vers le paupérisme. Pendant ce temps, la classe politique se déchire sur des ruines.
Dans l’imaginaire collectif, le Liban est un pays toujours meurtri. Notamment par la guerre civile qui a frappé cet État (1975-1990) ou plus récemment avec la guerre contre Israël (2006) et l’explosion au port de Beyrouth. Le pays du cèdre traverse une triple crise économique, politique et sociale (sans compter les difficultés liées à la pandémie). Autrefois surnommé « la Suisse du Moyen-Orient », le Liban est aujourd’hui à genoux.
Le Liban en pleine crise économique, politique et sociale
En octobre 2019, la situation s’est emballée dans le pays suite à l’annonce du gouvernement de taxer l’application WhatsApp (moyen de communication très utilisé dans le pays). Cela a suscité la colère des Libanais, trop habitués aux taxes qui heurtent le pouvoir d’achat des citoyens. De plus, la classe dirigeante était accusée d’inertie et d’incompétence, alors que les politiques pour améliorer les conditions de vie des habitants se faisaient attendre.
Des semaines de protestations ont entrainé le départ du gouvernement de Saad Hariri, en place depuis 2016. Remplacé par Hassan Diab, ce dernier a démissionné suite à la double explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020. Premier ministre qui a finalement été remplacé en octobre 2020 par… Saad Hariri. Retour à la case départ. Cependant, c’est toujours l’ancien gouvernement qui s’occupe des affaires courantes du pays en attendant la mise en place de la nouvelle administration. Cette dernière se fait toujours attendre.
Manipulations financières
En plus du contexte politique, le Liban est frappé dans le même temps par une crise financière. Difficile d’en connaître les causes exactes. Certains analystes pointent du doigt le contexte géopolitique de la région, couplé à la sanction d’une banque à capitaux majoritairement chiites par le Trésor américain en septembre 2019. Ces deux événements auraient entrainé une baisse des capitaux étrangers vers le Liban. Or, l’économie libanaise est principalement axée sur le flux de capitaux vers son territoire.
Au printemps 2020, le gouvernement de Hassan Diab estimait les pertes de banques à plus de 80 milliards de dollars. Dans la même période, pour la première fois de son histoire, le Liban se déclarait en défaut de paiement. Les pertes des banques pourraient en réalité avoisiner les 100 milliards de dollars.
Alors que la communauté internationale et le FMI réclament plus de transparence sur le système financier libanais, les autorités du pays semblent jouer la montre. En effet, cela risquerait de dévoiler au grand jour la corruption systémique du pays. Elle est, pourtant, bien connue de l’ensemble de la population libanaise et de la communauté internationale.
Un paupérisme croissant
À cause de ces magouilles financières, la livre libanaise s’est effondrée. En 2019, 1 500 livres valaient un dollar. Le 16 mars, 15 000 livres s’échangeait contre un dollar. La valeur de la monnaie a chuté de 50% en une semaine. Le pays a connu une inflation de plus de 140% au cours de l’année 2020. La dette du pays s’élève désormais à 170% du PIB. Les produits de bases, comme la farine et les médicaments, sont désormais rationnés. De plus, les réserves de la Banque centrale libanaise s’élevaient il y a un mois à 17,9 milliards de dollars. La réserve minimale doit être de 17,5 milliards de dollars. Nous sommes donc très proches du point critique.
Avec l’inflation, la valeur des salaires libanais a chuté. Désormais, la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Une situation qui touche aussi l’armée. Début mars, le général Joseph Aoun est sorti de son devoir de réserve et s’est alarmé de la situation financière des militaires. Leur salaire est passée à moins de 100 dollars par mois. La viande a même été enlevée des rations afin de faire des économies en juin 2020.
Comme les mauvaises nouvelles n’arrivent jamais seules, la crise sanitaire s’est ajoutée à ce cocktail détonant. Avec elle, son lot de difficultés financières qui touchent particulièrement les travailleurs du secteur informel. La double crise économique et sanitaire impacte aussi l’éducation. Les parents n’ont plus les moyens de financer des études, les professeurs n’ont pas les ressources nécessaires pour assurer des cours à distance.
Blocage politique
Difficile de voir comment sortir le pays de cette situation tragique. La corruption est endémique au Liban et plonge le pays du cèdre dans une situation désespérée. Le ministre de l’Énergie libanais à lui-même averti que le pays pourrait se retrouver sans électricité à la fin mars.
Il faut rappeler que le système libanais est confessionnel. La présidence revient à un chrétien maronite, le gouvernement à un sunnite et le parlement à un chiite. Dans ce contexte, le président Michel Aoun et le nouveau Premier ministre Saad Hariri se disputent la répartition des sièges des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Michel Aoun ne souhaite pas changer de posture afin de renforcer la position de son gendre, Gebran Bassil, pour assurer sa succession en 2022. Saad Hariri ne veut pas non plus bouger afin de garantir un soutien saoudien, support traditionnel de la famille Hariri.
Le Hezbollah a quant à lui déjà assuré sa position dans le nouveau gouvernement. Il est resté à l’écart du conflit entre M. Aoun et M. Hariri jusqu’à ce lundi 22 mars. Hassan Nasrallah, chef du parti chiite, a dénoncé l’idée de former un gouvernement de technocrates comme le souhaite M. Hariri. Il y a fort à parier que le parti n’interviendra pas dans les querelles politiques tant que rien n’aura avancé sur le dossier du nucléaire iranien, antenne iranienne au Levant oblige. Le nouveau gouvernement ne sera donc pas annoncé ces prochains jours.
L’aide internationale pourra-t-elle sortir le Liban de la crise ?
Une intervention extérieure peut-elle permettre de remettre le pays sur les rails ? Difficile à dire. La venue d’Emmanuel Macron au Liban avait pour but de « former un gouvernement d’experts en 15 jours ». Huit mois après, il n’y a toujours pas de nouveau gouvernement.
De plus, afin d’assurer l’aide internationale, le FMI réclame un audit complet du système financier libanais, ce qui risque de dévoiler au grand jour la corruption endémique dans le pays. Les profiteurs de cette politique ont tout intérêt à garder secret une source de leurs revenus. L’immobilisme agace tellement la communauté internationale que certains acteurs envisagent des sanctions contre la classe politique libanaise. Pendant ce temps, le pays bascule, les protestations ont repris et certaines bagarres ont éclaté dans des supermarchés.