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Le temps de la désescalade entre l’Iran et Israël

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Le voile de la « guerre de l’ombre » a été levé pour laisser place à une confrontation directe sur les territoires des deux rivaux. Toutefois, le récent cycle d’échanges au coup pour coup entre Israël et l’Iran semble avoir pris fin et l’escalade a été évitée, du moins pour l’instant. 

L’opération « Promesse tenue » face à l’impunité israélienne

Le général Mohammed Reza Zahedi tué le 1er avril à Damas.
Le général Mohammed Reza Zahedi tué le 1er avril à Damas

Le 1er avril, une annexe consulaire iranienne située à Damas a été bombardée par Israël, tuant sept officiers du Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI). Parmi la liste des défunts figure le général Mohammad Reza Zahedi, commandant de la Force Qods au Liban et en Syrie. Il est également l’officier le plus haut-gradé tué depuis que les États-Unis ont assassiné Qassem Suleimani en Irak en 2020. Cette attaque contre des locaux diplomatiques iraniens a fait fi du principe de l’inviolabilité des bâtiments diplomatiques régit par la Convention de Vienne.

Les dirigeants iraniens ont ressenti le besoin de montrer à leur population mais aussi à leurs alliés régionaux que la République islamique ne pouvait pas être attaquée en toute impunité. Il est à noter que le soutien de la frange ultra-conservatrice de la société est fondamental dans un pays où le régime des Mollahs n’est soutenu que par environ 15 % des citoyens. L’Iran a ainsi répondu par l’envoi d’une salve de plus de 300 missiles et drones dans la nuit du 13 avril dans le cadre d’une opération baptisée « Promesse tenue ».

Parmi les cibles visées par l’Iran figure la base de Nevatim dans le désert du Néguev, d’où auraient décollé les F-35 ayant bombardé l’annexe consulaire iranienne en Syrie. L’autre cible était un centre de renseignement militaire situé sur le mont Hermon et qui aurait fourni les renseignements nécessaires à l’attaque. Cette agression est la première attaque directe jamais lancée contre Israël depuis le sol iranien. Elle a fait voler en éclats les règles non écrites de la guerre de l’ombre entre Israël et l’Iran.

La fin de la « patience stratégique » de l’Iran

Pendant des années l’Iran a pratiqué une politique de « patience stratégique » qui consistait à soutenir des proxies afin de projeter sa puissance dans la région tout en maintenant un certain degré de déni plausible et en évitant une confrontation directe avec Israël. De plus, la décision de l’Iran de laisser ses proxies et le Hezbollah en dehors du conflit s’écarte de son modus operandi habituel. L’attaque du consulat a été perçue comme une atteinte à la souveraineté du territoire iranien. Selon le régime iranien, en l’absence de réponse, cette agression pourrait encourager des attaques israéliennes directes contre l’Iran. Hossein Salami, commandant en chef du CGRI, a déclaré à la télévision iranienne que l’Iran avait mis en place « un nouvel équilibre ».

La coalition occidentale aux côtés d’Israël

Les États-Unis et les pays de la région ont été informés de l’attaque iranienne 72 heures à l’avance, donnant à Israël et ses alliés le temps de se préparer avant que les missiles n’atteignent l’espace aérien israélien. Avec l’aide des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de la Jordanie, Israël a intercepté quelque 170 drones, 120 missiles balistiques et 30 missiles de croisière. Israël a ainsi fait une démonstration remarquable de son système de défense antiaérien. L’armée israélienne évoque une efficacité d’interception de 99 % et des dommages minimes aux vies humaines et infrastructures. Le préjudice de l’attaque israélienne sur le consulat iranien – sept morts – contraste ainsi avec celui de l’attaque iranienne sur Israël avec une seule petite fille bédouine légèrement blessée.

Suite au succès de l’interception israélienne, le président américain Joe Biden a conseillé au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou de « savourez sa victoire » et d’éviter l’escalade. Les alliés européens de l’Etat hébreu lui ont prodigué des conseils similaires. Selon un sondage réalisé le 14 avril par l’Université hébraïque en Israël, environ 74 % des Israéliens s’opposaient à une contre-attaque « si elle porte atteinte à l’alliance de sécurité d’Israël avec ses alliés ». Le même sondage révèle que 56 % des Israéliens estimaient que leur pays « devrait répondre positivement aux demandes politiques et militaires de ses alliés afin de garantir un système de défense durable dans le temps ».

La riposte d’Israël (cf. infra) reflétait un équilibre entre l’impératif de montrer sa force et le désir concomitant de conserver le soutien de ses alliés pour contrer le comportement « belliqueux » de l’Iran. Dans un premier temps, M. Netanyahou aurait renoncé à une contre-attaque immédiate et semblait souscrire à une désescalade comme l’a demandé M. Biden. Par la suite, les dirigeants israéliens – notamment le ministre de la Défense Yoav Gallant, le chef des forces de défense israéliennes Herzi Halevi, Benny Gantz, membre du cabinet de guerre, et M. Netanyahou lui-même – ont tous promis des représailles.

Une riposte israélienne limitée mais ferme

Dans les premières heures du 25 avril, Israël lança une frappe de représailles contre l’Iran, visant au moins une installation militaire à l’extérieur d’Ispahan. Compte tenu de l’ampleur et du caractère sans précédent de l’attaque iranienne, la réponse israélienne semble modeste. En effet, confronté au dilemme de l’escalade et l’inaction, Israël a fait le choix d’une frappe chirurgicale calibrée, symétrique mais non proportionnelle, tout en avertissant Téhéran qu’il pourrait à l’avenir mener des frappes de précision sur des sites stratégiques, tels que les centrales d’enrichissement nucléaire de Natanz – située à 100 kilomètres d’Ispahan – et son système de défense antiaérienne élargi. Israël espère ainsi avoir rétabli la dissuasion – fragilisée depuis le 7 octobre – face à son rival iranien tout en évitant l’escalade.

L’attaque aurait pu conduire à une nouvelle escalade et à une guerre si l’Iran estimait qu’un nouveau seuil symbolique avait été franchi, contraignant Téhéran à répliquer. Toutefois, la riposte israélienne a éludé cette surenchère en reproduisant les caractéristiques visibles des attaques précédentes contre des installations militaires en Iran. En effet, il semblerait qu’une fois de plus, l’attaque aurait été menée à l’aide de drones quadricoptères pour frapper des cibles militaires plutôt que civiles. Les médias iraniens ont ainsi minimisé l’impact de l’attaque israélienne, affirmant qu’elle n’impliquait que des « petits drones » et qu’elle n’avait pas fait de victimes.

Le poids des politiques intérieures face à l’embrasement régional

La retenue apparente de la frappe israélienne suggère que l’État hébreu souhaite éviter une guerre ouverte avec l’Iran. Ce desideratum est mutuellement partagé par l’Iran. Néanmoins, ce statu quo n’est guère garanti. Des changements de politique intérieure pourraient rendre les deux pays plus enclins à risquer une guerre. Benjamin Netanyahou semble avoir obtenu le soutien de ses alliés occidentaux et de sa population pour sa réaction mesurée. Toutefois, Benny Gantz et Gadi Eisenkot – membres du cabinet de guerre – ont plaidé en faveur d’une contre-attaque alors que les drones et les missiles iraniens étaient encore dans le ciel israélien le 13 avril.

En outre, Itamar Ben-Gvir, ministre d’extrême droite de la Sécurité nationale, a appelé Israël à « se déchainer » et à lancer « une attaque écrasante » sur l’Iran. Il a surenchéri en qualifiant la réponse d’Israël de « médiocre ». Du côté de la République islamique, si le dispositif décisionnel est plus opaque, il est presque certain que des partisans de la ligne dure font pression en faveur d’une action plus musclée contre Israël.

Le changement d’approche de l’Iran et d’Israël, les deux pays s’engageant directement sur le territoire de l’autre, pose la question de l’inauguration d’une nouvelle phase du conflit entre la République islamique et l’Etat hébreu.

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Ameerah Ismael

Diplômée d'un master en Relations internationales et Diplomatie et d'une licence en Langues étrangères appliquées (anglais-arabe-hindi) de l'Université Jean Moulin Lyon 3. Intéréssée par les enjeux politiques, militaires et sociétaux au Moyen-Orient mais également à l'Extrême-Orient.

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