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Présence américaine en Irak : enjeu de sécurité ou jeu géopolitique?

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Le 17 février dernier, le général américain Joseph Votel, responsable des forces militaires au Moyen-Orient, s’est rendu à Bagdad pour rencontrer et rassurer les responsables irakiens suite au retrait des Etats-Unis en Syrie. De fait, malgré le désengagement officiel de l’armée américaine en 2011, suite à la guerre commencée en 2003, Washington maintient un contingent de 4000 hommes en Irak. En effet, la menace terroriste reste très forte. L’Irak serait-il en passe de devenir le nouveau refuge de l’Etat islamique ?

Le président Trump rend visite aux troupes américaines en Irak, décembre 2018.
Le président Trump rend visite aux troupes américaines en Irak, décembre 2018.

La présence américaine en Irak représente un enjeu de sécurité majeur pour Washington. Début février, le Pentagone a publié un rapport dans lequel il alerte sur la menace qu’un retrait précipité de Syrie pourrait faire peser sur l’Irak. En effet, alors que le groupe terroriste essuie les défaites dans le pays de Bachar el-Assad, il se retranche en Irak où la situation sécuritaire demeure très précaire.

Fin 2017, l’ancien Premier ministre irakien, Haïdar al-Abad, annonçait la victoire de Bagdad sur les djihadistes. Mossoul célébrait alors son triomphe en grande pompe. Toutefois, il semble que les réjouissances furent prématurées. Le ministère américain de la Défense estime que l’Etat islamique serait en capacité de regagner les territoires perdus en six à douze mois, dans le cas d’un retrait américain complet. Pris en étau en Syrie, les combattants islamistes tentent de fuir vers les pays voisins, dont l’Irak.

Difficultés économiques dans le sud irakien : un nouveau terreau pour l’Etat islamique ?

De fait, Bagdad demeure un gouvernement fragile. Les inégalités sont fortes entre le nord et le sud. En effet, après la défaite de l’Etat islamique dans la région de Mossoul, située au nord, les autorités ont concentré leurs efforts sur la reconstruction de cette partie du pays, négligeant le sud. La ville de Basra, capitale économique, et ses alentours concentrent pourtant 80% de la production des richesses nationales à travers ses importantes ressources pétrolières.

Malgré cela, le gouvernement a sous-investi cette région et beaucoup de ses habitants font maintenant face au chômage et à la précarité. Ainsi, l’été 2018 fut ponctué de manifestations et de tensions dans le sud irakien. Les protestataires dénoncent un abandon par l’Etat et un traitement régional inégal. Cette situation est d’autant plus inquiétante que la misère économique pourrait conduire les irakiens désespérés dans les bras de l’Etat islamique. Ce fut le cas pour Mossoul et ses environs. En effet, avant 2014 et la poussée des terroristes au nord, cette région souffrait d’un important manque d’opportunités économiques et était rongée par la corruption. Sans actions de la part du gouvernement, le même scénario pourrait se reproduire dans le sud.

Un objectif affiché pour Washington : contenir l’influence iranienne

Après les Etats-Unis, l’Iran est le deuxième allié de taille de l’Irak. Alors que les tensions sont au plus haut entre Téhéran et Washington, le président américain souhaite conserver une présence significative en Irak afin de ne pas laisser le champ libre à l’Iran. De son côté, Téhéran a tout intérêt à préserver son partenariat avec Bagdad en raison de l’isolement croissant dont elle est la cible, du fait du renouvellement des sanctions économiques américaines. En effet, les économies iranienne et irakienne sont très liées. A titre d’exemple, le système électrique irakien est fortement dépendant de l’approvisionnement énergétique iranien, ce qui limite son autonomie. De même, l’Irak abrite des groupes iraniens considérés comme terroristes par les Etats-Unis et ses alliés. Ainsi, demeurer en Irak permet aux Américains de surveiller l’activité de ces factions.

Rester en Irak pour rassurer les alliés américains

De plus, quitter l’Irak enverrait un message inquiétant aux alliés arabes de Washington. En effet, les Etats-Unis ont encouragé l’Arabie Saoudite, le Koweït et les Emirats arabes unis à investir dans la reconstruction de l’Irak. Un retrait américain pourrait être perçu comme un signal contradictoire.

Enfin, en plus de son soutien au gouvernement central de Bagdad, Washington souhaite apporter son aide aux kurdes irakiens. En effet, ces derniers ont combattu aux côtés de la coalition internationale en Syrie. Ils ont constitué un apport crucial pour vaincre l’Etat islamique. Ainsi, les Américains veulent leur prouver qu’ils ne les abandonnent pas complètement en se retirant de Syrie.

Ressentiment et montée de l’antiaméricanisme

Toutefois, la présence américaine ne fait pas que des heureux parmi les Irakiens. Certains dénoncent le stationnement de troupes comme étant une ingérence. De plus, la dégradation des relations entre Téhéran et Washington expose Bagdad à des représailles financières en raison de ses liens économiques importants avec son voisin. Ce mécontentement n’est pas l’apanage de la population. Il est reflété jusque dans les partis politiques. Ainsi, certaines figures haut placées n’ont pas hésité à demander une remise en question de la relation irako-américaine. Les élections législatives de mai 2018 ont mis en lumière une montée du nationalisme et de l’anti-impérialisme. Un certain nombre de politiques ont fait campagne en s’engageant à réévaluer le partenariat entre les Etats-Unis et l’Irak, une promesse qui a fait recette. Toutefois, la perspective d’un retrait complet des Etats-Unis demeure lointaine. En effet, la menace terroriste est trop grande pour que Bagdad puisse se passer de son puissant allié militaire américain.

Contrainte de demeurer dans le giron de Washington pour des raisons sécuritaires, Bagdad devra réaliser un exercice d’équilibriste périlleux entre ses relations avec l’Iran et son partenariat avec les Etats-Unis. Le repli de l’Etat islamique vers ses frontières représentera un défi supplémentaire, alors que le sud souffre économiquement et pourrait devenir un terrain favorable aux combattants islamistes.

Sources

http://www.rfi.fr/moyen-orient/20170710-irak-premier-ministre-proclame-officiellement-victoire-mossoul-ei

https://www.nbcnews.com/news/mideast/isis-regrouping-iraq-pentagon-report-says-n966771

https://worldview.stratfor.com/article/it-or-not-iraq-us-ties-are-here-stay

https://worldview.stratfor.com/situation-report/us-iraq-general-votel-meets-iraqi-officials-discuss-islamic-state-threat

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Clara JALABERT

Clara JALABERT est étudiante en Master International Security à l'école d'affaires internationales de Sciences Po. Elle se spécialise dans l'étude de l'Asie et des risques sécuritaires.

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