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Quelle soutenabilité pour la société moderne ? [1/4] Chapitre I : Des conditions matérielles d’existence vulnérables

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Développement durable, résilience, transition énergétique… Autant de termes et concepts de plus en plus présents dans le champ lexical de nos contemporains. Des vœux pieux plus que des constats, tant notre société est structurellement aux antipodes de ces paradigmes.

Cette série intitulée « Quelle soutenabilité pour la société moderne ? » traitera ce sujet au travers de quatre articles. Le premier sera consacré aux conditions matérielles, le deuxième aux nouveaux liens sociaux, le troisième à la structuration psychologique des individus, et enfin le quatrième aux enjeux énergétiques.

Cette série d’articles n’est pas prescriptrice. Elle a pour vocation l’identification des points de blocages et les injonctions contradictoires de nos sociétés faces aux enjeux de demain. Cette rapide synthèse a pour humble ambition de fournir à chaque citoyen les informations nécessaires à la structuration de solutions cohérentes et fonctionnelles.

La soutenabilité de notre modèle de société est questionnable
L’optimisation économique provoque d’immenses vulnérabilités.

Chapitre I : Des conditions matérielles d’existence vulnérables

L’optimisation de l’organisation collective …

L’organisation économique actuelle est fondée sur les avantages comparatifs. Chaque pays et chaque individu se spécialisent dans son domaine d’excellence. Il fournit ainsi aux autres les fruits de son travail, en échange des fruits du travail des autres dans leurs propres domaines d’expertise.

La mondialisation, fondée sur cette logique, a libéré les capitaux et les hommes, éclatant donc les chaines de production. Un produit est désormais le résultat du travail d’individus répartis partout sur le globe. Les flux physiques ont explosés, l’objectif étant l’optimisation et donc la rentabilité économique maximale. Les secteurs d’activité, les organisations et les individus ne sont pas autosuffisants. De plus, la souveraineté totale sur les secteurs vitaux n’est pas assurée, soit parce que la production est délocalisée, soit parce que la production nationale dépend des importations.

Ce paradigme a ses avantages. Le progrès scientifique et technologique a été en partie permis par l’optimisation et la spécialisation. La complexité de la société moderne est telle qu’il est impossible pour un individu d’en maîtriser tous les savoirs.

… corolaire de la dépendance

La soutenabilité et la résilience font cependant défaut. Multiplier les acteurs et les distances, c’est multiplier les vulnérabilités. Cette optimisation par l’interdépendance et les flux a donc un talon d’Achille : la défaillance d’un maillon de la chaîne entraîne un arrêt sectoriel, voire un effet domino. Le problème des masques ou des réactifs dans la crise sanitaire actuelle en est l’illustration.

De plus, l’optimisation économique empêche un aspect fondamental de la résilience : la redondance. Les stocks sont vus comme de l’immobilisation, et donc une perte immédiate. Ce paradigme est structurellement porté sur le présent et les flux tendus, et n’intègre le futur que dans le cadre de la croissance économique. Ce qui, nous le verrons dans le troisième chapitre, se heurte aux contraintes énergétiques et démographiques.

Au contraire, un individu formé à l’ensemble des compétences nécessaires à la réalisation complète d’une tâche sera moins performant, mais sera autonome. Les groupes humains fondés sur cette indépendance sont donc structurellement plus résilients, car les compétences sont partagées et la défaillance d’un individu plus vite circonscrite.

La spécialisation rime avec la division du travail. A mesure que l'optimisation augmente, la complexité technologique et logistique s'accroissent.
La spécialisation rime avec la division du travail. A mesure que l’optimisation augmente, la complexité technologique et logistique s’accroissent.

La délégation des besoins fondamentaux

Les conditions de vie que nous connaissons aujourd’hui sont exceptionnelles à bien des égards. Tout d’abord, la majorité de l’humanité vit désormais en ville. Situation inédite depuis que l’humanité est sédentarisée, cette rupture avec les sociétés historiques atteint son paroxysme en Occident. Les agriculteurs représentaient par exemple 0,67% de la population Française en 2018. Cette situation est rendue possible par l’explosion des rendements agricoles pour des raisons énergétiques, donc dépendante de l’approvisionnement en énergie pilotable et abondante.

99% de la population active Française a donc une activité professionnelle non productrice de vivres, déléguant cette tâche à d’autres individus. Cette dépendance alimentaire est accentuée par l’habitat. La population urbaine et suburbaine n’a que très peu accès au jardinage, et encore moins à de l’eau potable en dehors de l’eau courante fournie là encore par une puissante logistique, donc le travail d’autres personnes.

Les conséquences sur les conditions matérielles de vie des individus

Cet état d’interdépendance professionnelle et matérielle pour les ressources fondamentales est aussi significatif d’une structuration psychologique particulière à notre temps. Lors de l’exode rural du XIXe siècle, les paysans devenus ouvriers disposaient de jardins ouvriers. Assurer sa propre subsistance alimentaire, même dans un environnement urbain et dense, semblait relever de l’indispensable. Les logements du personnel ferroviaire chargé des barrières avant l’automatisation en attestent aussi, chacun disposant systématiquement d’un puits.

Les traditions culinaires sont aussi directement issues d’un temps où elles étaient une nécessité autant qu’un plaisir culinaire. Ce mode de vie correspond à un monde à l’énergie rare et chère. En effet, l’eau des villes était souvent insalubre, et l’alcool était donc un gage de stérilisation du breuvage. L’approvisionnement en une énergie continue et pilotable comme l’électricité était impossible, rendant indispensable de fumer les aliments et d’allonger leur durée de vie, d’où les fromages ou la charcuterie. Enfin, consommer des produits hors saison était hors de propos.

De plus, le propre de l’évolution technologique est de rendre obsolètes les strates techniques précédentes. Lorsque l’automobile est arrivée, la logistique nécessaire au déplacement à cheval a été abandonnée. Le télégraphe n’a pas survécu au téléphone. Les exemples sont légion. Ce mécanisme est économiquement cohérent. L’absence de moyens matériels ainsi que la perte des savoirs-faire afférents aux strates technologiques précédentes entraînent cependant une vulnérabilité supplémentaire. Effectivement, la perte des moyens technologiques actuels n’entraînerait donc pas un retour aux technologies des années 1960, mais plutôt à celles du Moyen-Age.

Conclusion

Ainsi, le Français moyen du début du XXe siècle avait des conditions de vie matérielles plus proches de son homologue du Xe siècle que de celui du XXIe. Des pistes sont envisageables pour augmenter l’autonomie et la résilience de la société, comme les relocalisations. Cependant, il est impossible de maintenir nos conditions de vie sans la spécialisation des individus dans leur domaine d’expertise. Les conséquences sur sa soutenabilité matérielle sont donc évidentes, mais elles le sont aussi sur sa structuration psychologique.

Ressources bibliographiques :

FAUBERT, Violaine, « Quels enseignements tirer de la première mondialisation (1870-1914) ?« , Économie & prévision, n°200, février 2012. 

Le Monde, « Depuis 2008, la moitié de l’humanité vit en ville« , 23 octobre 2008.

Le Figaro, « Comment la France a renoncé à garder le contrôle de son patrimoine économique« , 25 janvier 2019.

Le Figaro, « Le nombre d’agriculteurs en France ne cesse de baisser« , 29 janvier 2019.

France Info, « Coronavirus : pourquoi la France manque-t-elle de masques respiratoires ?« , 19 mars 2020.

Le Figaro, « Quand l’Occident renonçait à produire ses propres médicaments« , 13 avril 2020.

Les Crises, « L’usine bretonne qui alimentait la France en masques : histoire secrète d’un saccage industriel« , 14 avril 2020.

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Charles SIROUX

Travaillant dans la gestion de risque et de crise, il est diplômé d'un M2 en géopolitique et prospective à l'IRIS. Ses thèmes de prédilection sont les enjeux sécuritaires, énergétiques et d'influence, ainsi que les tendances historiques.

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