Tchad, la clef de voûte de l’Afrique
Bernard Cazeneuve a choisi un pays pour son premier voyage à l’étranger en tant que Premier ministre : le Tchad. Le 29 décembre 2016, le chef du gouvernement français, accompagné du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a souligné le rôle clé joué par le Tchad et son armée dans la lutte contre les groupes armés djihadistes en Afrique. Cette visite constitue un signal faible qui montre le rôle crucial du Tchad dans la construction de l’architecture de sécurité du continent africain. Pour comprendre l’importance du Tchad, il est nécessaire d’analyser son environnement régional.
Au nord du pays, la Libye est, depuis 2011 et la chute du colonel Kadhafi, en proie à une guerre civile menée par des milices rivales. Le territoire libyen est également infiltré par des groupes armés terroristes dont Daech qui tend à redéployer ses forces dans l’Etat nord-africain, à la suite de son recul sur le théâtre syro-irakien. Le Premier ministre tchadien, Albert Pahimi Padacké, a par ailleurs annoncé le 5 janvier 2017 la fermeture de la frontière du Tchad avec la Libye, évoquant une « potentielle grave menace d’infiltration terroriste ». Et d’ajouter que les régions frontalières de la Libye deviendraient désormais des « zones d’opérations militaires ».
A l’ouest du Tchad, s’étend la bande sahélo-saharienne (BSS) où sévissent des organisations terroristes, comme Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Dine ou plus récemment Daech, mais aussi des réseaux de trafiquants. Il convient de rappeler que la France a lancé le 11 janvier 2013 l’opération Serval au Mali, dans le but de stopper l’avancée des djihadistes, en provenance du Nord-Mali vers la capitale, Bamako. A partir du 1er août 2014, l’opération Barkhane a remplacé l’opération Serval pour mieux lutter contre cette menace transfrontalière et empêcher la constitution d’un sanctuaire terroriste dans la BSS. Elle relève d’une approche stratégique, incluant les pays partenaires du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad) dans la lutte contre les groupes armés terroristes de la région. La capitale tchadienne, N’Djamena, accueille notamment le quartier général du dispositif Barkhane qui compte désormais 4 000 militaires français. Notons que le Tchad fournit aussi le plus gros contingent (plus d’un millier de soldats) de la MINUSMA[1] (maximum de 13 289 militaires), l’opération de maintien de la paix de l’ONU au Mali.
La menace vient aussi du sud : Boko Haram et la Centrafrique
Au sud-ouest, le Tchad est limitrophe du Nigéria et du Cameroun, deux pays particulièrement frappés par la secte islamiste terroriste Boko Haram. La France plaide pour que l’UE verse les 50 millions d’euros promis à la Force multinationale mixte (FMM) opérant contre Boko Haram. Composée de 8 500 soldats originaires du Nigeria, du Niger, du Tchad, du Bénin et du Cameroun, la FMM a pour objectif de prendre en tenaille les combattants de Boko Haram dans la région du lac Tchad.
Au sud, la frontière tchadienne avec la République centrafricaine (RCA) est fermée. En effet, la zone frontalière est particulièrement instable côté centrafricain car y sévissent différentes milices, plus ou moins affiliées à la mouvance Séléka. Dans le contexte du conflit en RCA débuté en 2013, le Tchad a un temps fourni un contingent de 850 soldats à la MISCA[2], avant de le retirer en avril 2014, à la suite d’accusations de l’ONU portant sur une bavure de soldats tchadiens à Bangui. Rappelons que l’armée française est intervenue en Centrafrique dans le cadre de l’opération Sangaris, du 5 décembre 2013 au 31 octobre 2016.
A l’est enfin, le Soudan est en guerre (guerre du Darfour) depuis 2003, même si les origines des conflits soudanais remontent, elles, aux années 1950. Ces dernières années, le conflit au Darfour semble avoir baissé d’intensité. Quant aux relations entre le Tchad et le Soudan, elles tendent à se stabiliser, après la rupture des relations diplomatiques bilatérales de 2008. Le Président tchadien Idriss Déby soutient, en effet, le processus de paix au Darfour.
En somme, ce rapide panorama de la situation régionale montre que le Tchad constitue la pierre angulaire de la géopolitique africaine. Le Président Idriss Déby demeure soutenu par la France, bien consciente que si le Tchad tombe, un double arc djihadiste africain est susceptible de se constituer de la Mauritanie à la Somalie et de la Libye au Nigéria. Etant donné la crise politique (Idriss Déby est largement contesté, étant au pouvoir depuis 1990) et économique (la chute des cours du pétrole ayant sérieusement entamé les finances du pays) que connaît le Tchad actuellement, l’équilibre entier de la région ne tient désormais plus qu’à un fil. Dans ce contexte critique, l’Union européenne et les partenaires européens de la France tardent à apporter un soutien de grande envergure dont l’armée française a tant besoin.
[1] Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali.
[2] Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, remplacée par la MINUSCA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en RCA) en septembre 2014.