Équateur : la gauche sud-américaine sauve l’un de ses derniers bastions
À l’issue d’un vote particulièrement serré, le candidat du parti socialiste au pouvoir, Lenin Moreno a été élu à la présidence de l’Équateur. Une élection importante à plus d’un titre, dans la mesure où elle permet une continuité à la présidence Correa et met fin à un cycle de défaites électorales pour la gauche sud-américaine.
Pour l’Équateur, pays situé entre la Colombie et le Pérou, l’enjeu de l’élection présidentielle revêtait une importance particulière puisqu’il s’agissait d’assurer ou non la continuité de la « révolution citoyenne » de Rafael Correa, initiateur du socialisme du XXIe siècle avec Hugo Chávez et Evo Morales. Ce 2 avril 2017, l’Équateur a donc refermé une page de son histoire, qui aura duré 10 ans, en choisissant l’héritier politique de Correa, Lenin Moreno (Alianza País) pour lui succéder : il fut en effet son vice-président de 2007 à 2013. Si ce dernier – premier président paraplégique au monde – avait frôlé l’élection au premier tour, il ne s’est imposé au second qu’avec 51,11% des voix face au candidat libéral Guillermo Lasso (Movimiento CREO). Lasso a d’ailleurs exigé un nouveau décompte des voix, soupçonnant certaines fraudes à la suite de sondages de sortie des urnes le donnant vainqueur. Néanmoins, Moreno a officiellement été proclamé président de l’Équateur ce 4 avril par la commission électorale (CNE), pour une entrée en fonctions le 24 mai.
Récession équatorienne et crise de la gauche sud-américaine
De fait, Lenin Moreno prendra la tête d’une société profondément divisée, entre partisans de la « révolution citoyenne » et partisans de l’alternance alors que le ralentissement économique affecte de plus en plus la vie du pays. L’Équateur est en effet un pays qui exporte beaucoup de pétrole (40% environ du total de ses exportations), et la rente pétrolière a financé la majeure partie des programmes d’investissements du gouvernement Correa. Or, la chute des cours, associée à la réévaluation du dollar a eu pour conséquence de faire entrer le pays en récession (-4,5% de PIB en 2016 selon le FMI, chiffre dû en partie aussi au tremblement de terre de l’an dernier) et de faire augmenter le chômage, qui s’établit aujourd’hui à 5,7% de la population active contre 3,8% un an plus tôt. L’échec de Rafael Correa à sortir l’Équateur de sa dépendance envers le pétrole restera sans doute comme l’échec majeur de sa présidence. Cette dégradation de la conjoncture économique équatorienne ainsi que la souhait d’une partie de la population de changer d’ère après une décennie expliquent le faible écart observé lors de ce scrutin. Malgré ces éléments, des progrès significatifs sont à relever de ces années de gouvernement de Correa, qui a pu rétablir une stabilité politique en Équateur grâce à la modernisation des institutions et effectuer un développement en infrastructures important.
L’arrivée de Moreno à la tête du pays devrait cependant induire une certaine rupture dans la pratique du pouvoir dans la mesure où il apparaît beaucoup plus conciliateur que son prédécesseur, qui a souvent été accusé d’avoir eu des relans autoritaires à l’instar de ses confrères de la gauche bolivarienne. Il apparaît plus rassembleur, ce qui s’avéra nécessaire à la vue des résultats électoraux. Pour la gauche latino-américaine, cette élection constitue en tout cas un espoir, dans la mesure où l’ensemble des élections depuis la fin de l’année 2015 avait donné lieu à des défaites que ce soit avec l’arrivée des libéraux Mauricio Macri et Pedro Pablo Kuzcynski en Argentine et au Pérou ou la destitution de Dilma Rousseff au Brésil. Toutefois, l’élection s’étant jouée de justesse, il apparaît difficile de remettre en cause le mouvement de droitisation du continent sud-américain à court terme : les prochaines échéances électorales – présidentielle au Chili et législatives en Argentine notamment – serviront à confirmer ou infirmer cet inversement de tendance politique en Amérique du Sud.