Ce que la volte-face arménienne révèle sur la politique de voisinage de l’Union Européenne
Le 3 septembre 2013, le Président arménien Serge Sarkissian a annoncé que son pays avait l’intention de rejoindre l’Union douanière constituée par la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie, rendant ainsi juridiquement impossible la ratification de l’accord de libre-échange négocié par les Européens.
C’est à une volte-face inattendue que s’est livrée l’Arménie le 3 septembre en jouant la carte d’une Union douanière sous l’égide du Kremlin plutôt que d’un accord de libre-échange négocié de longue date avec les autorités européennes. L’Union douanière Russie-Kazakhstan-Biélorussie est cependant très loin de constituer un bloc économique homogène et son PIB est environ sept fois inférieur à celui du géant européen. Elle apparaît plutôt comme la première étape du grand dessein géopolitique de Vladimir Poutine, mûri depuis son accession au Kremlin : la création d’une Union Eurasiatique censée ressusciter l’influence russe auprès des ex-Républiques soviétiques. Le revirement soudain de l’Arménie, pourtant en phase terminale des pourparlers avec l’Union Européenne, est donc largement une posture géopolitique et non pas le fruit d’un calcul économique pragmatique.
Il révèle de plus que l’attractivité de l’Union Européenne en tant que puissance régionale pâtit à l’Est de deux handicaps majeurs : d’une part, la croyance selon laquelle la puissance économique et l’aura démocratique suffisent à créer l’adhésion atteint ses limites dans un contexte de stress stratégique, prégnant en Europe de l’Est (Ukraine, Moldavie) et dans le Caucase (Géorgie, Azerbaïdjan, Arménie). D’autre part, en ayant accepté de dissocier les garanties économiques des garanties sécuritaires, laissées à l’OTAN, l’Union Européenne abandonne à la Russie un atout maître dans ses négociations avec son « étranger proche ».
Car le cas arménien est symptomatique de la diplomatie du Kremlin à l’égard de ses anciennes dépendances, faite de pressions énergétiques, de menaces commerciales et d’intimidation stratégique.
Le conflit autour du Haut-Karabakh – province sécessionniste d’Azerbaïdjan peuplée à 80% d’Arméniens – ainsi que le panturquisme militant d’Ankara et Bakou apparaissent ainsi comme un levier majeur du choix arménien de se tourner vers le protecteur russe. Riche de ses ressources pétrolières et de sa coopération avec l’OTAN, l’Azerbaïdjan compte le budget militaire le plus élevé des Républiques caucasiennes – 4,4 milliards de dollars en 2012 – et un embryon d’industrie militaire. L’Arménie quant à elle dispose d’un modeste budget militaire de 451 millions de dollars, ce qui l’avait déjà poussée à accepter le stationnement de 5000 militaires russes sur son sol et à rejoindre l’Organisation du Traité de Sécurité Collective patronnée par Moscou. Les négociations à propos du Haut-Karabakh au sein du Groupe de Minsk – coprésidé par les Etats-Unis, la France et la Russie – étant au point mort depuis 1992, c’est donc effrayée par l’éventualité que Moscou abandonne son soutien militaire que l’Arménie a accepté d’intégrer l’Union douanière.
Si l’Arménie ne désire pas abandonner ses relations avec l’Union Européenne, celle-ci sort affaiblie de ce bras de fer avec le Kremlin et apprend à ses dépens que son élargissement à l’Est passera inévitablement par une prise en compte accrue des questions de sécurité nationale dans sa politique de voisinage.