L’art de la guerre selon Poutine
Après la Tchétchénie, la Géorgie et l’Ukraine, et profitant d’interventions armées officialisées de la part des Occidentaux, la Russie intervient désormais elle aussi directement dans le conflit syrien. Une première loin des bases russes, mais une occasion en or pour son dirigeant de redémontrer l’impact diplomatique russe dans le monde.
Voilà plus de quinze ans que V. Poutine est au pouvoir en Russie. Après la guerre menée en Tchétchénie pour marquer son territoire face aux indépendantistes dès son arrivée au pouvoir (1999-2000), une contre le voisin géorgien à l’été 2008 pour un désaccord territorial, la prise de Crimée en 2014 était la dernière démonstration de force en date du dirigeant russe. Dans l’esprit patriotique russe, les grands dirigeants sont ceux qui mènent des guerres, et qui les gagnent. Ces trois exemples ne dérogent pas à la règle, permettant à Poutine de continuer à profiter d’un soutien notable d’une majorité de ses concitoyens.
L’intervention armée en Syrie marque une étape décisive dans le retour diplomatique russe. Par cette intervention, Poutine rompt avec le non-interventionnisme dont il s’était fait l’apôtre depuis de nombreuses années dans les grandes affaires du monde. Lui qui avait critiqué (et à raison) les envolées belliqueuses occidentales de ces derniers temps semble cependant suivre la même philosophie : intervenir pour préserver d’importants intérêts économiques et politiques locaux.
Diplomatie du risk-reward
Face à cet Occident qui se renie jour après jour, le dirigeant russe a réussi un tour de force indéniable : celui de ne pas changer de ligne directrice depuis le début du conflit. Il a pris le risque, sur le cas syrien, de soutenir un autocrate en pleines Révolutions arabes. Quatre ans plus tard, même si l’essor de l’Etat islamique était difficilement imaginable à l’époque, il en recueille des rewards conséquents. Il a compris qu’aucun pays occidental n’irait tenter de destituer Al-Assad, surtout dans le contexte d’opposition irano-saoudienne que l’on connaît. Il a attendu patiemment que l’Etat islamique se développe de lui-même, profitant du chaos ambiant, pour agiter la menace islamiste et forcer les Occidentaux à reconnaître un constat froidement cynique : oui, il y a pire que Bachar Al-Assad. Et, qui plus est, en prenant les Occidentaux à leur propre jeu : les Russes interviennent en Syrie avec l’approbation du gouvernement syrien. L’art de la guerre poutinien, c’est aussi reprendre à son compte les grands préceptes occidentaux pour mieux s’en moquer…
Néanmoins, cette posture russe fait apparaître certains risques, parfois non-calculés. La Russie n’a jamais été meneuse d’une intervention aussi importante : les interventions en Ukraine ou en Géorgie, aussi difficiles furent-elles, n’ont rien en commun avec une implication en Syrie, notamment de par l’éloignement géographique. De plus, il est fort probable qu’une intervention aérienne ne suffise pas : Moscou sera-t-elle capable de mobiliser suffisamment de forces terrestres ? Enfin, la réaction de l’Etat islamique demeure la plus grande inconnue à ce jour. Très anti-occidental, le mouvement deviendra-t-il anti-russe, avec des conséquences y compris sur le territoire russe ?
L’art de la guerre selon Poutine, c’est donc prendre une position risquée, à rebours des grandes puissances occidentales, et de profiter de leurs errements? En Syrie, il pourrait s’adjuger le statut de chantre de la lutte contre le terrorisme, voire de pacificateur, si l’intervention venait à réussir. C’est, également, de ne pas faire de distinguo entre les divers opposants sur place. Poutine a eu une vision extrêmement manichéenne des choses : soit on soutient la cause défendue par la Russie, soit on est un ennemi, potentiellement à abattre. Cela rappelle, tristement, l’Axe du Bien et du Mal défini par G.W. Bush dans les années 2000. Charge à V. Poutine de démontrer qu’il est un chef de guerre utile pour la communauté internationale…